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Partager notre vie de praticien·ne avec un·e conjoint·e non vétérinaire

Un dimanche matin brumeux au milieu de la campagne Normande. Alors que tout le monde dort encore, je fais glisser la lourde porte de la clinique et me dirige vers les boxes où six chevaux m'accueillent en hennissant doucement. Je suis seule. Pour nettoyer les boxes, pour réévaluer mes patients, pour leur prodiguer des soins. Je commence par les plus critiques. La colique qui a été opérée dans la soirée et que j'ai veillée une partie de la nuit. Le poney avec sa lymphangite dont le postérieur a triplé de volume et dont toute la peau est en train de nécroser. Puis le grand alezan, qui reçoit quotidiennement une injection intraveineuse d'oxytétracycline.

L'impossible solitude !

L'animal, qui n'apprécie guère les piqûres et qui commence à me reconnaître lorsque je m'approche avec ma seringue, s'agite. Je l'attache entre deux longes dans la douche en espérant qu'il se tienne tranquille le temps de lui poser son cathéter. Bien entendu, l'équidé ne l'entend pas de cette façon. Il me pousse, relève la tête à chaque tentative, et tente une échappée qui pourrait bien mal se terminer. En quête d'une solution, je m'empare du tord-nez, que j'accroche comme je le peux à son licol. Cela ne suffit pas et je manque de prendre le bâton en pleine tête.

Insister, ou capituler ? La situation est absurde, dangereuse. Je peste contre ces conditions de travail qui ne me permettent pas d'évoluer en sécurité et qui ne sont pas non plus respectueuses de mes patients. Je songe bien à réveiller la deuxième vétérinaire de garde, mais je sais à quel point nos heures de sommeil sont précieuses. Mes doigts composent le numéro de mon conjoint.

L’aide salvatrice, le soutien irremplaçable

Le milieu équestre lui est totalement inconnu ; le monde médical aussi. C'est avec curiosité qu'il me rejoint à la clinique. Je suis soulagée de le savoir avec moi. Sa présence me remonte le moral, et il me fait gagner un temps précieux en se chargeant des tâches les plus simples.  Il se lie d'amitié avec l'immense percheron qui a été castré il y a deux jours et dont les plaies saignent un peu trop. Pendant que je douche mon imposant patient de 850 kg, il lui caresse le bout du nez et lui murmure quelques mots doux. Je m'apaise, et une partie de ma solitude s'envole.

Bien plus tard dans la nuit, je suis réveillée par un appel d'urgence. Un cheval en colique. Je m'habille sans faire de bruit, mais mon mari tourne la tête et me demande de sa voix endormie si je souhaite de la compagnie. Je ne refuse pas sa proposition et nous nous glissons tous les deux dans le Berlingot, qui démarre dans le silence de la nuit. Alors que c'est moi qui conduis et descends la première de la voiture, les clients s'adressent spontanément à mon conjoint. "La vétérinaire, c'est elle" s'empresse-t-il de préciser. Doux monde patriarcal... Je ne relève pas. C'est loin d'être la première réflexion, que ce soit sur mon genre, mon jeune âge, ou ma stature trop fine. Les clients sont pourtant gentils. Mon mari détend l'atmosphère alors que je suis en train de siphonner le contenu de l'estomac du cheval malade, sonde naso-gastrique à la bouche. Serions-nous en train de réinventer le concept de soirée romantique ?

La place de notre métier dans le couple

Qu'il ou elle soit plutôt volontaire, soutenant·e ou un peu effrayé·e, le·la conjoint·e du ou du ou de la vétérinaire est rarement indifférent·e. Au tout début de la relation, il est possible que ce beau métier suscite curiosité ou admiration de la part du ou de la partenaire. Les études sont longues et prestigieuses, et le·la vétérinaire bénéficie encore d'une image positive et respectable dans l'inconscient collectif. Après tout, ce métier fait partie du top 5 des carrières qui font rêver les enfants. Mais très vite, le·la conjoint·e se trouve confronté·e à la réalité. Iel sera soumis·e à de nombreux challenges tout au long de sa vie de couple et de famille. Partager la vie d'un·e vétérinaire, c'est accepter que cette activité souvent dévorante puisse prendre beaucoup de place dans la vie de celui ou de celle qu'on aime.

Les horaires à rallonge, le travail de nuit et les week-ends, les imprévus... rendent le quotidien mouvementé, et une dose de patience et de compréhension risque d'être nécessaire pour maintenir la barque à flot. Ce sont ces dîners interrompus par la sonnerie du téléphone de garde ; ces sorties annulées car la fatigue est trop présente ; ces vacances gâchées par les ruminations mentales liées au travail ; ces questions des enfants qui se demandent pourquoi maman ou papa n'est pas plus souvent à la maison. Reproches d'un côté, culpabilité de l'autre. Comment trouver l'équilibre entre sa vie personnelle et professionnelle ?

La force de la différence

Pourtant, lorsque chacun·e trouve sa place, avoir un·e conjoint·e non vétérinaire peut être une véritable bouffée d'air frais. Il ne sera certes pas toujours possible de discuter de son travail en détails, et d'ailleurs l'envie ne se fera probablement pas sentir. Par contre, le regard extérieur et bienveillant de sa moitié peut aider à dédramatiser nombre de situations. Combien de fois me suis-je infligée des séances de torture mentale en repensant à certains cas cliniques ? Combien de fois ai-je ressassé les moments les plus désagréables de ma journée ? Avec sa bonne humeur à toute épreuve et sa capacité à ne jamais se laisser envahir, mon mari me fait régulièrement voir les choses d'un autre angle. C'est justement parce qu'il ne comprend pas tout à fait ce que je vis au quotidien qu'il est capable de me ramener les pieds sur terre, dans le moment présent. Vous savez, quand vous êtes rentré chez vous mais que le cerveau est ailleurs, toujours au travail. Au moins, dans nos discussions, il n'y a plus d'animal malade, plus de conflit avec les propriétaires, plus de débat passionné autour de la bonne conduite thérapeutique à tenir.

Ne pas partager le même métier présente d'autres avantages : un cercle d'amis plus large et plus diversifié ; un peu moins de concessions pour les vacances ; des anecdotes plus drôles lorsqu'elles sont racontées par celui ou celle qui n'est pas du métier. Je serai toujours celle qui fait un métier un peu cracra, que ce soit la fois où je reviens à la maison le visage moucheté de tâches de sang (tu connais le cheval qui éternue avec sa mycose des poches gutturales ?) ou la fois où je laisse dans mon sillage un doux parfum de glandes anales, abcès ou crottins (au choix). Je n'y prête plus attention, mais cela fait encore sourire mon cher et tendre, pourtant bien éprouvé par des années de cohabitation. Lorsqu'il se moque gentiment, c'est pour mieux me sauver la mise derrière. Quand son ou sa conjoint·e n'est pas vétérinaire, c'est l'opportunité de le·la laisser gérer l'entourage et ses questions indésirables. "Non, elle n'est pas joignable" ; "Désolé, elle ne va pas pouvoir beaucoup t'aider sans avoir vu l'animal" ; "Oui, oui, je lui poserai la question" (ou peut-être pas).


A l'heure où la féminisation de notre métier implique que de nombreux couples sont constitués d'un binôme véto/non véto, il me semblait intéressant d'amorcer une réflexion sur le rôle de ces hommes et femmes de l'ombre (ou de lumière ! question de point de vue). Qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Comment arrivent-iels à trouver leur place dans notre quotidien de praticien·ne ? Il y a autant de réponses que de couples, mais le·la conjoint·e non vétérinaire a assurément son rôle à jouer !

 

Astrid de Boissière,
Vétérinaire

 

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