Se connecter

Quand la fratrie s’agrandit, quels challenges pour les vétérinaires ?

Crédit photo @ T.Vyc - Shutterstock.com
Les vétérinaires qui sont pères et mères de famille connaissent bien la difficulté à jongler entre leurs obligations familiales et professionnelles. L’arrivée d’un premier enfant dans le foyer est une grande source de joie mais également de chamboulements. Soudain, un petit être requiert toute notre attention, nous demandant de nous réinventer et d’adapter notre quotidien. Lorsqu’un deuxième (ou troisième, quatrième…) enfant arrive, on pourrait croire la mécanique bien rodée, déjà éprouvée par cette première expérience de parentalité. La réalité est plus nuancée et à chaque nouvelle arrivée, son lot de défis !

Lorsqu’on pose la question autour de soi du changement le plus difficile entre celui du passage de zéro à un enfant ou celui d’un à deux enfants, les réponses sont très contrastées. Pour un nombre non négligeable de parents, c’est bien à partir du deuxième enfant que les choses se corsent. Il semblerait donc que l’agrandissement de la fratrie soit un sujet qui mérite une attention particulière. Mais en pratique, qu’est-ce que cela implique en tant que parent mais aussi en tant que vétérinaire 

L’arrivée d’un deuxième enfant : tsunami ou long fleuve tranquille 

Accueillir son premier enfant est déjà source de bouleversements intenses. Les femmes passent par une phase de matrescence en devenant mamans et les hommes, dans une moindre mesure, de patrescence. Les priorités changent, la fatigue s’installe et la charge mentale augmente nettement. Il n’est pas rare de traverser une forme de crise émotionnelle ou identitaire pendant laquelle on apprend à se connaître en tant que jeune parent. Au travail, des changements de carrière peuvent être envisagés, tout comme l’adoption d’un rythme moins intense afin de consacrer plus de temps à sa famille. 

Lorsqu’un nouvel enfant arrive, et avec lui la notion de fratrie, les cartes sont rebattues. La recherche de l’équilibre se poursuit. On bénéficie cependant d’une première expérience, qui permet d’aborder avec plus de confiance et de sérénité, la venue d’un cadet. Devenir parent a permis le développement de nouvelles compétences : la bienveillance, le lâcher-prise, la patience, l’empathie, le sens de l’organisation… Toutes bien utiles pour garder son calme face à son enfant (ou un client difficile !). 

Néanmoins, agrandir la fratrie ne se fait pas non plus sans heurts. Le deuxième enfant est un être à part entière, avec sa personnalité propre, et bien différente de celle de l’aîné ! Le temps d’attention des parents par enfant est nécessairement divisé et le quotidien devient plus animé. La gestion des conflits complète d’ailleurs la liste des compétences acquises en cours de route. Compter sur les enfants pour s’occuper entre eux est généralement un mauvais calcul. Le parent reste très sollicité et il faut accepter de disposer de moins de temps libre et donc de moins de temps de repos, au moins les premières années. 

D’un point de vue logistique, s’occuper de plusieurs enfants signifie également assurer les nombreuses conduites, s’adapter à des rythmes différents, courir le risque plus élevé de garder un enfant malade (et donc d’être moins disponible au travail) … Tout un joyeux mélange qui fait le charme des fratries mais aussi leur complexité. Côté financier, il faut penser au coût des modes de garde qui s’additionnent. Face à une grande fratrie, une nounou à domicile peut parfois représenter une solution intéressante. 

Si l’arrivée d’un premier enfant est vécue comme un bouleversement d’ordre émotionnel, l’arrivée des enfants suivants l’est tout autant, mais plus d’un point de vue organisationnel. On ne découvre plus la parentalité, mais on la fait évoluer en quelque sorte à un niveau supérieur. En tant que vétérinaire, s’adapter fait déjà partie des demandes du métier. Reste à transformer l’essai à la maison 

Le coût caché de la maternité 

Agrandir la famille a un certain coût, et celui-ci est aujourd’hui supporté en majorité par les femmes. Ce sont elles qui sont le plus pénalisées professionnellement par leurs choix familiaux et ce, de manière toujours un peu plus importante à chaque enfant supplémentaire. 

Celles-ci, si elles sont salariées, subissent une baisse significative de leur revenu pendant leur congé maternité : la convention collective prévoit un maintien de salaire à 80% seulement. Le congé parental, pris en immense majorité par les femmes, est très faiblement indemnisé. Il réduit également de moitié l’ancienneté acquise dans l’entreprise pendant sa durée. Pour les libérales, les indemnités journalières versées par la sécurité sociale ne couvrent pas les charges fixes et il faut se munir d’une bonne prévoyance pour limiter l’impact de la maternité sur ses revenus. Pour elles, le congé parental est rarement une option. 

Toutes professions confondues, les femmes déclarent deux fois plus souvent que les hommes que leurs responsabilités familiales ont des conséquences sur leur situation professionnelle [1]. Dans la profession vétérinaire, cela concerne même 87% des femmes [2] ! Le recours au temps partiel s’accroît fortement avec le nombre d’enfants, en particulier lorsqu’ils ont moins de trois ans. Il existe un vrai tournant à partir du troisième enfant : les femmes ne sont plus que 54% à travailler à temps plein avec trois enfants et plus. Chez les hommes en comparaison, ni l’âge ni le nombre d’enfants ne sont fortement corrélés au travail à temps partiel. 

Par ailleurs, les mères ont des salaires inférieurs à ceux des pères en équivalent temps plein, et les écarts croissent avec le nombre d’enfants. Elles subissent un ralentissement de carrière qui s’étire bien après l’arrivée du dernier enfant, un moindre accès aux promotions et une pénalisation durable en salaire horaire. Les vétérinaires sont 73% à se sentir discriminées en raison de leur maternité selon une étude conduite aux Etats-Unis [2]. Est-ce parce qu’elles sont perçues comme moins dédiées au travail 

La maternité s’accompagne donc d’un certain coût financier, mais celui-ci est également psychologique. Les mères de deux enfants et plus travaillant à temps plein subissent en effet 40% de stress en plus que les femmes sans enfant [3]. 

Quelles contreparties alors, pour les parents ? Elles ne sont pas à rechercher au niveau du travail, dont les conditions sont rarement très flexibles. Rares sont les cliniques proposant des horaires adaptés à une vie de famille. Il existe néanmoins des dispositifs d’aide financière aux familles : des allocations familiales sont versées par la CAF à partir du deuxième enfant ; le montant du CMG (Complément de libre choix de Mode de Garde) peut évoluer selon le nombre d’enfants ; chaque enfant compte pour une demi-part supplémentaire jusqu’au deuxième puis comme une part entière à partir du troisième, ce qui diminue le montant de l’impôt sur le revenu.  

Quand les priorités sont redéfinies 

Le mythe du vétérinaire et parent parfait qui peut tout avoir (y compris une maison parfaitement entretenue !) n’est qu’un idéal impossible à atteindre. Dans les faits, être à la tête d’une grande fratrie s’accompagne de compromis, voire de renoncements. Est-ce un problème ? Pas si on se sent aligné avec ses choix. 

Selon un sondage conduit par l’American Veterinary Medical Association, environ 30% des praticiens en canine émettent le souhait de travailler moins pour améliorer leur santé mentale et l’équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle [4]. Parmi ceux qui font une pause dans leur carrière, près de la moitié le font pour s’occuper de leurs enfants. Chez les femmes, c’en est même la raison principale. 

Le recours au temps partiel ne s’impose donc pas toujours comme une obligation. Il s’agit aussi d’un choix pour de nombreux parents, qui privilégient le temps passé auprès de leurs enfants. C’est également faire de sa santé une priorité : la réduction de son temps de travail s’accompagne d’une diminution des marqueurs biologiques de stress chez les mères tout comme les pères. 

Pour certains vétérinaires, l’agrandissement de la famille est enfin l’occasion de faire évoluer leurs conditions de travail : passage du salariat au libéral pour pouvoir choisir son emploi du temps, création de sa clinique, reconversion… Il n’existe pas un chemin unique mais il est certain que la vie familiale ouvre souvent de nouvelles perspectives. 


Le passage d’un à deux enfants (ou plus !) représente donc bien un cap nécessitant de réinventer le quotidien. Les premières années en particulier impliquent de trouver une organisation permettant de tout concilier. Il n’est pas toujours simple de placer le curseur au bon endroit : entre ambitions professionnelles et culpabilité parentale, il y a parfois des choix à faire. Une réflexion mérite en tous cas d’être menée sur l’accompagnement des jeunes parents et la prise en compte de leurs besoins spécifiques. Les femmes en particulier ne devraient plus subir de discriminations liées à leurs choix familiaux. 

Astrid de Boissière, 
Vétérinaire  

 

Ressources documentaires et bibliographiques 

[1] Conseil d’Orientation des retraites, Les carrières des femmes relativement à celles des hommes et selon le nombre d’enfants, 2023, [En ligne]. Disponible sur : https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2023-10/Doc_16_carri%C3%A8res_femmes_vs_hommes.pdf [Consulté le : 25 février 2025] ; 

[2] A. S. Wayne, M. K. Mueller, M. Rosenbaum, Perceptions of maternal discrimination and pregnancy/postpartum experiences among veterinary mothers, Front Vet Sci. 2020 mar 6,7:91. [Consulté le : 25 février 2025] ; 

[3] T. Chandola, C. L. Booker, M. Benzeval, Are flexible work arrangements associated with lower levels of chronic stress-related biomarkers ? A study of 6025 employees in the UK Household Longitudinal study, Sociology, 53(4), 779-799. [Consulté le : 25 février 2025] ; 

[4] J. Langridge, You can navigate motherhood and be a veterinary professional, 2022. [En ligne]. Disponible sur : https://www.dvm360.com/view/you-can-navigate-motherhood-and-be-a-veterinary-professional [Consulté le : 25 février 2025]. 

 

La rédaction vous conseille 

La newsletter qui décrypte le monde vétérinaire autrement

Pour les vétérinaires curieux qui n'ont pas le temps de l'être : tous les mois, des articles, des histoires, des jobs et des conseils qui donnent le sourire.

Égalite professionnelle & parentalité

Presse vétérinaire

Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15