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Changement de cap chez les vétérinaires équins : entre passion et renonciation

Crédit photo @ Canva
 Nombreux sont les vétérinaires qui ont songé à se reconvertir, nombreux également sont ceux qui ont sauté le pas. Ceux-là sont d’anciens praticiens qui ont quitté la médecine vétérinaire pour exercer autrement. Il existe pourtant un autre profil de vétérinaires, ceux qui changent de domaine d’activité (canine, équine, rurale) en cours de route. Parmi eux, les vétérinaires équins semblent plus touchés que les autres par ces changements de carrière, ou même d’orientation quand ils bifurquent dès les bancs de l’école.  " L’équine, (plus) jamais de la vie !" est une phrase que nous avons tous entendue, dès nos premières années d’étude. Alors, les équins auraient-ils un profil différent des autres ? Quelles sont les spécificités de cette branche qui les pousseraient à changer de voie 

Nous vous avons interrogés, vous les lecteurs de TÉMAvet, en ciblant les vétérinaires équins qui ont fait le choix de quitter cette pratique pour exercer dans un autre domaine. Le questionnaire concernait également les vétérinaires qui pensaient exercer en équine à l’école et qui ont finalement fait un autre choix, et ceux qui ont choisi de diminuer la part d’équine de leur activité. Les 141 témoignages recueillis nous permettent d’essayer de comprendre leurs motivations et de mettre en lumière les contraintes particulières inhérentes à ce mode d’exercice. 

L’équine, un monde à part 

Dès le début des études se pose la question de l’orientation professionnelle : animaux de compagnie, animaux de rente ou équidés sont les choix les plus mis en avant. L’équine n’est-elle alors qu’une branche comme les autres ? La réalité est plus complexe et on le comprend très vite. En effet, ce domaine d’activité s’affiche volontairement comme une catégorie à part. Dès les semaines d’intégration, les élèves montant à cheval sont catégorisés comme " pouffe équine " (on notera le caractère sexiste de ce petit sobriquet), comme si l’amour du cheval revêtait un caractère un peu honteux. Le fait que cet univers soit traditionnellement très féminin et bourgeois tend à en faire une cible facile. 

Par la suite, rien ne sera fait pour encourager les élèves dans cette voie. Ceux qui sont les moins familiers du monde équestre seront volontiers relégués au second plan et risquent de ne pas se sentir à leur place dans ce milieu particulier, où la passion du cheval côtoie celle du sport. Sans une certaine culture de l’équitation, il est plus difficile de s’intégrer et de susciter l’intérêt de ses professeurs. En clinique, le cheval est une espèce sacralisée par le corps enseignant qui, de fait, a du mal à déléguer la réalisation de gestes techniques aux élèves de cinquième et même de sixième année. Combien sortiront de l’école sans jamais avoir posé de cathéter ni effectué un sondage naso-gastrique ? C’est la seule branche dans laquelle la réalisation d’un internat ou équivalent peut être vue comme indispensable pour pouvoir exercer. Ce ne sont pas les recruteurs qui diront le contraire : il suffit de lire les annonces pour s’en convaincre. 

Une première sélection est donc déjà effectuée pendant les études et seuls les élèves armés d’une bonne dose de motivation se dirigeront vers une année d’approfondissement en équine, voire une carrière en tant que vétérinaire équin. 

Du rêve à la désillusion 

Il y a cette petite phrase, entendue pendant l’internat il y a quelques années, qui déjà annonçait une forme de rupture entre les envies de carrière et la réalité du terrain : " Il ne faut pas rêver, pratiquement personne ne continuera l’équine pendant longtemps après l’école ". Si elle n’entre pas au palmarès des affirmations les plus motivantes, cette phrase ne manque malheureusement pas de clairvoyance. Qui sont donc ces vétérinaires qui quittent la pratique équine, parfois même avant d’avoir commencé 

Les répondants au questionnaire sont des femmes en très grande majorité (91,4%), ce qui est nettement plus que parmi les équins en exercice (58,5%) selon l’Atlas démographique de la profession [1]. Ces vétérinaires affichent en rentrant à l’école une volonté forte de faire de l’équine (en pratique exclusive pour 71,4% d’entre eux et en pratique mixte pour 20% d’entre eux). Cela se traduit par une année d’approfondissement en équine pour 81,4% d’entre eux et la réalisation d’un internat ou formation équivalente pour 60,7%. Il semble donc y avoir une forte motivation au départ à pratiquer dans cette branche. 

Pourtant, à la sortie, ils ne sont plus que 47,1% à exercer exclusivement en équine et 34,3% en mixte. Les expériences à l’école et en stage sont déterminantes, ce que corroborent de nombreux témoignages. Il est déploré des conditions de travail et d’apprentissage très difficiles : " charge de travail démentielle ", " sensation d’esclavagisme ", " une ambiance et des exigences qui font peur " , "des stages en dehors des conditions légales, à la limite de l’exploitation ". 

Les relations humaines sont également problématiques : " misogynie assumée par certains professeurs ", " mauvais traitement des internes ", " absence de reconnaissance ", et " mauvaise ambiance de travail ". Les stagiaires se sentent invisibilisés, voire déshumanisés comme le rapporte une consœur : " pendant une semaine entière, certains ne prenaient pas la peine d'essayer de retenir mon prénom et claquaient des doigts pour m’appeler "

Ces conditions d’apprentissage mettent parfois précocement fin aux carrières auprès des équidés : " dégoût de la pratique avant même de commencer " témoigne une vétérinaire, " je suis parti de ce milieu dès l’internat " précise un autre. 

Ceux qui persévèrent dans cette voie après leurs études et bifurquent un peu plus tard vont évoquer d’autres causes de reconversion. En première place, le manque d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle (51,2%). Sont pointées du doigt la difficulté à concilier le métier avec une vie de famille, l’amplitude horaire des journées peu propice au repos personnel et la perte du plaisir à pratiquer l’équitation sur son temps libre après avoir soigné des chevaux toute la journée. Les relations difficiles avec la clientèle prennent la deuxième place (ce facteur est cité par 45,6% des répondants). Les clients sont jugés arrogants, désagréables, mauvais payeurs et très exigeants. Certains n’hésitent pas à critiquer ouvertement les vétérinaires, d’autres ne laissent pas leur chance aux nouveaux venus. Il en résulte un climat parfois tendu et une peur de la plainte ou du " bashing " sur les réseaux sociaux. 

Par ailleurs, le stress professionnel ainsi que la peur de l’erreur sont également fréquemment invoqués, par 40% des répondants. Il ressort des témoignages que les vétérinaires équins sont sous tension : " stress important et chronique ", " beaucoup de pression et de stress ", " beaucoup frôlent le burn out ". Le salaire, souvent jugé insuffisant (" forfait jour avec un salaire horaire inférieur au SMIC "), pousse également les vétérinaires équins vers la sortie. 

Contrairement aux vétérinaires de tous horizons interrogés par Vétos Entraide dans le cadre d’une enquête sur la reconversion [2], l’obligation de Permanence et Continuité de Soins ne fait pas partie des causes principales poussant les vétérinaires équins à changer de carrière. Ce facteur n’est cité que par 17,5% des répondants, versus 52% dans l’étude citée. Peut-être parce que les motifs d’appel en urgence en équine sont jugés plus légitimes et les vétérinaires ainsi moins dérangés qu’en canine ? 

En revanche, ce qui ressort particulièrement de beaucoup de témoignages libres, c’est que les relations de travail entre collègues ou confrères sont souvent difficiles. À plusieurs reprises, le manque de confraternité est pointé du doigt (" les confrères se descendent les uns les autres "), tout comme le management inadéquat (" ambiance de travail toxique ", " aucune reconnaissance ", " management catastrophique ", " employeurs peu disposés à former "). Les valeurs de solidarité et d’entraide semblent cruellement manquer dans cette branche, alors même que la charge de travail y est très élevée. 

Enfin, la pratique en équine s’accompagne de son lot de contraintes inévitables, comme les longues heures sur la route, le travail dehors par mauvais temps, les risques physiques… Certains répondants ont préféré faire évoluer leur pratique pour retrouver plus de confort et moins de solitude. 

À la recherche de son équilibre 

À la lecture des témoignages, le constat est plutôt noir. Mais rappelons que les vétérinaires qui ont répondu à notre questionnaire sont ceux qui se sont reconvertis ou qui ont fait évoluer leur pratique. Nul doute qu’il existe aussi de nombreux vétérinaires équins tout à fait épanouis dans leur quotidien. Par ailleurs, plusieurs motifs de reconversion cités ne sont pas l’apanage de l’équine, et on retrouve ces problématiques dans d’autres secteurs également. 

Il faut peut-être se réjouir au contraire que les vétérinaires reconvertis aient fait le choix de leur bien-être au travail. Ils ne sont en effet que 8,3% à avoir indiqué que ce changement était subi, que ce soit pour des raisons de santé (maladie, difficultés physiques, accident…) ou familiales (parent célibataire sans aide, par exemple). 

La volonté de quitter la pratique équine ou de réduire son importance répond donc surtout à un besoin d’équilibre personnel et de diminution du stress, pas tellement à une lassitude ni à une curiosité de découvrir de nouveaux horizons. L’arrivée d’enfants dans le foyer précipite les choses pour 53,3% des répondants, qui indiquent que cela a pesé dans leur prise de décision. L’exercice auprès des équidés peut être difficile à concilier avec une vie de famille, en raison de l’amplitude horaire des journées et des gardes inévitables. 

L’herbe est-elle pour autant plus verte ailleurs ? Il semblerait que oui ! En effet, 88,5% des vétérinaires interrogés se sentent plus épanouis au travail et 79,3% n’envisagent pas (ou peu) de revenir à la pratique équine par la suite. C’est l’exercice exclusif auprès des animaux de compagnie qui séduit le plus (46,1%), suivi par l’exercice mixte et les activités " autres ", en dehors de la pratique de la médecine vétérinaire. 

Certains vétérinaires se sont tournés vers les médecines intégratives comme l’ostéopathie ou l’acupuncture et ont ainsi retrouvé du sens et de la sérénité. Le rapport à la clientèle n’est pas le même, celui au cheval non plus. Selon ces vétérinaires reconvertis, c’est le bien-être de l’équidé qui prime plutôt que son côté performance et rentabilité. 


Retenons alors que la pratique équine peine non pas à attirer les profils motivés mais bien à leur faire adopter de longues et heureuses carrières dans ce domaine. Les vocations sont mises à mal par des conditions d’apprentissage difficiles, puis par un mode d’exercice où stress et charge de travail pèsent parfois très lourd. Si la reconversion semble la seule issue pour certains, d’autres retrouvent leur équilibre en pratiquant moins, ou différemment. 

 

Astrid de Boissière,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] Atlas 2024 démographique de la profession vétérinaire, [En ligne]. Disponible sur : https://www.veterinaire.fr/system/files/files/2024-08/ATLAS-NATIONAL-2024-WEB-02082024.pdf [Consulté le : 27 janvier 2025] 

[2] M. et T. Babot-Jourdan, Vétos-Entraide, Enquête sur la reconversion professionnelle, 2022, [En ligne]. Disponible sur : https://vetos-entraide.com/enquete-de-vetos-entraide-sur-la-reconversion-professionnelle-veterinaire-en-2022/ [Consulté le : 27 janvier 2025]. 

 

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