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Conseilleriez-vous votre métier de vétérinaire à vos enfants ?

Crédit photo @ LIGHTFIELD STUDIOS - stock.adobe.com
« Quand je serai grand·e, je serai vétérinaire ! » Notre beau métier suscite très tôt des vocations, et nombre d’entre nous ont trouvé leur voie dès l’enfance. Un parcours long, parfois semé d’embûches, mais quelle émotion une fois le concours réussi ! Quelle fierté une fois la thèse soutenue et le précieux diplôme enfin obtenu ! Le rêve d’enfant s’est concrétisé, et les jeunes adultes que nous sommes devenu·e·s sont maintenant prêt·e·s à poursuivre leurs ambitions et à plonger dans la vie active. Et puis les années ont passé et les premières expériences professionnelles se sont enchaînées. De vétérinaires débutant·e·s, nous sommes passé·e·s à vétérinaires confirmé·e·s. Nous sommes peut-être devenu·e·s parents, ou bien côtoyons-nous les enfants de notre entourage proche. Eux-mêmes grandissent, rêvent… A leur vie future, à leur futur métier. Qu’avons-nous envie de leur dire, à ces jeunes que notre métier intrigue, passionne ou même rebute ? Quelle attitude adopter face à un enfant qui semble vouloir marcher dans nos traces ? L’encourager, ou déjà le mettre face à la réalité d’un métier qui ressemble rarement à celui fantasmé ? La question de la transmission se pose, peut-être plus intimement encore que pour les autres professions. On reste vétérinaire à vie, même si l’on finit par s’éloigner de la pratique et du monde scientifique. Notre métier fait partie de notre héritage, mais à l’heure où beaucoup de contraintes pèsent sur nos épaules, il n’est pas certain que nos enfants auront envie de suivre la même voie que nous.
 

Un besoin de transmission légitime

Avoir envie que son enfant nous ressemble est un sentiment normal. Dès les premiers instants, la connexion avec son bébé est favorisée si l’on se projette en lui, si l’on s’y identifie. Physiquement, mais également au niveau des traits de caractère. La notion d’appartenance et de lignée familiale est importante pour beaucoup de parents. Ainsi, il n’est pas rare de vouloir retrouver une partie de nous-même dans ses enfants. De la même manière, l’enfant aura besoin de se reconnaître dans ses parents, au moins le temps de construire sa propre identité.

L’environnement familial joue pour beaucoup sur l’orientation professionnelle des jeunes. Une enquête de l’INSEE révèle par exemple que 58% des adolescents dont le père exerce une profession intellectuelle ou scientifique envisagent de suivre une voie similaire. Dans les filières médicales, il y a également une forte corrélation entre la profession des parents et celle envisagée par les enfants [1]. Dans notre métier un peu hybride (non reconnu comme une profession médicale, mais s’y apparentant fortement), il n’y a pas de statistiques officielles. Néanmoins, nous avons tous connu à l’école plusieurs enfants de vétérinaires, ou issus d’une famille de médecins.

Qu’en est-il à l’heure actuelle ? Retrouvera-t-on la même proportion d’enfants de vétérinaires dans les écoles dans 10 ou 20 ans ?

Être vétérinaire en 2022

Les temps changent, les attentes également. Le vétérinaire d’aujourd’hui aspire à un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Pourtant les indicateurs de la santé au travail des vétérinaires ne sont pas au beau fixe : scores élevés de burnout ; nombreux stresseurs rencontrés au quotidien ; pensées suicidaires. Environ 1/3 des vétérinaires déplorent un rythme de travail trop intense, 94% pointent du doigt l’amplitude horaire excessive, ce qui a des répercussions négatives sur la vie privée [2]. Parmi les premières personnes impactées : les conjoint·e·s mais également les enfants.

De nouveaux défis se présentent donc à nous, à l’heure où la notion de bien-être au travail ne peut plus être mise de côté. Les choix de carrière que l’on fera, mais également les limites que l’on posera influenceront nécessairement la perception de nos proches.

Ce qu’en disent les vétérinaires

En interrogeant mes consœurs et confrères sur le sujet de la transmission du métier, j’ai malheureusement eu bien du mal à recueillir des témoignages positifs. Il semble que la tendance qui se dégage, c’est que les parents d’aujourd’hui seraient plus soulagés si leurs enfants se dirigeaient vers une autre voie.

« Il en est hors de question. Pour mes neveux, qui sont adolescents maintenant et qui ont grandi avec un papa vétérinaire, cela n’a même pas été envisagé. Ils ont trop souffert de l’absence répétée de leur papa et n’ont aucune envie de s’épuiser au travail comme lui. Moi, je suis partagée sur le sujet. Je me demande si cela vaut vraiment le coup de se lancer dans de telles études, vu l’investissement que cela demande et le faible salaire que l’on touchera ensuite. Si c’était à refaire, je crois que j’aurais choisi la médecine humaine. Je côtoie plusieurs médecins et ils ont l’air plus épanouis professionnellement. » Léa (1), 39 ans, vétérinaire salariée.

Est-ce que cela signifie que le métier ne nous plaît pas ou plus ? Pas du tout. Seulement, on peut être passionné par ce que l’on fait, tout en déplorant les aspects négatifs de son métier : travail prenant et stressant, exigences croissantes de la clientèle, difficultés à couper totalement même pendant les journées de repos…

« J’adore mon métier, vraiment. J’aime ce que je fais, j’aime le contact avec ma clientèle, j’aime les défis diagnostiques et réussir à soigner mes patients me procure beaucoup de plaisir. Pour autant, je n’invite pas du tout mes enfants à s’intéresser aux études vétérinaires. Le stress, le temps passé dans les démarches administratives, la charge mentale énorme sont de gros facteurs négatifs pour moi. La société a changé, particulièrement sur les deux dernières années. Les propriétaires sont beaucoup plus prêts à investir dans des examens complémentaires et n’hésitent plus à consulter des spécialistes. Mais ils ont également beaucoup plus d’exigences et d’angoisses, c’est très fatigant au quotidien. » Sandrine (1), 40 ans, vétérinaire associée.

« Cela fait une trentaine d’années que j’exerce, et je m’éclate toujours autant ! Même si je suis passée par des périodes de _ras-le-bol,_ je n’ai jamais perdu la passion du métier. Fille et petite-fille de vétérinaire, je trouve que les temps ont beaucoup changé. Les contraintes administratives sont beaucoup plus lourdes maintenant, et chronophages. En m’installant, j’ai naturellement beaucoup travaillé. Je n’ai pas culpabilisé, car à l’époque c’était comme ça. Par la force des choses, mes filles ont passé beaucoup de temps à la clinique : les soirs, les week-ends… L’une d’elle en parle d’ailleurs comme de sa « deuxième maman ». Elles ne m’ont rien reproché, mais n’ont pas montré d’attrait pour le domaine médical par la suite. Elles n’avaient pas la fibre. Je crois que dans un sens, cela me soulage un peu. Pourtant, elles travaillent beaucoup aujourd’hui, chacune dans sa branche. Si tout était à refaire, je crois que je ferais exactement les mêmes choix. » Christine (1), 61 ans, vétérinaire associée.

Le parent vétérinaire, s’il n’est pas vu comme celui ou celle qui « travaille trop » et « qui n’est pas assez souvent là » par ses enfants, peut au contraire être considéré comme le·la super-héros·héroïne. Un rôle difficile à endosser car il ne souffre pas l’erreur, et renvoie l’image du ou de la vétérinaire sacrificiel·le, prêt·e à tout pour maintenir l’équilibre professionnel et personnel. Certain·e·s y arrivent, pourtant, et parviennent à insuffler à leurs enfants une étincelle de passion.

« Avoir des enfants m’a appris à dire non. On n’est pas obligés d’accourir à la moindre demande de consultation non urgente. Depuis que je pose des limites et que je délègue les réponses téléphoniques la nuit, je passe des soirées plus calmes, avec un temps privilégié avec chacun de mes enfants. Bien sûr, certains week-ends restent entrecoupés par les urgences. Mes garçons le subissent un peu, mais je crois qu’ils comprennent et qu’ils sont fiers de moi. Quand c’est possible, je les emmène à la clinique et je les implique autant que possible. Ils en ont vu des choses, déjà ! L’un veut même devenir vétérinaire et raconte tous les détails des chirurgies à ses copains. Je laisse le temps faire les choses, mais une petite partie de moi est fière aussi. » Marianne (1), 41 ans, vétérinaire collaboratrice libérale.


Alors, transmettre et conseiller son métier à ses enfants, ses proches, est-il une évidence ? Au vu des réactions observées autour de moi, il semble que la réalité soit légèrement différente. Même si l’on est épanoui au travail, les difficultés du terrain peuvent éclipser les points les plus positifs, au point de souhaiter un avenir différent pour ceux et celles que l’on aime. Mais l’herbe est-elle nécessairement plus verte ailleurs ?

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Astrid de Boissière,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] Béatrice Boutchenik, Clotilde Coron, Sébastien Grobon, Céline Goffette, Louis-André Vallet. Quantifier l’influence totale de la famille d’origine sur le devenir scolaire et professionnel des individus. Economie et statistique n°477, 2015. [Consulté le 19 septembre 2022] ;

[2] D. TRUCHOT et al. , La santé au travail des vétérinaires : une recherche nationale, 2022, [En ligne]. Disponible sur : https://www.veterinaire.fr/system/files/files/2022-06/Rapport%20Cnov%20et%20V%C3%A9tos%20Entraides%20VFinale%2013062022.pdf [Consulté le 19 septembre 2022].


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