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Le harcèlement moral, un facteur de plus dans la détresse psychologique vétérinaire

Crédit photo @ ChristianChan - shutterstock.com
Ces dernières années, de plus en plus d’études paraissent sur la détresse psychologique des vétérinaires. La plupart traite de l’empathie et de la fatigue compassionnelle qu’ils peuvent ressentir. Mais les chercheurs semblent de plus en plus s’intéresser à la santé mentale des praticiens également. Et parmi les facteurs de risque d’une dégradation de celle-ci se trouve le harcèlement moral. Bien qu’illégal, il semble évoluer dans notre profession de façon non négligeable. Le reconnaître et en parler devient donc important pour s’en protéger.

Cela a été annoncé, la santé mentale sera le fer de lance de 2025. Pourquoi ? Car les troubles psychologiques prennent une part de plus en plus importante dans les dépenses de la sécurité sociale. On parle d’un coût social du stress professionnel de 2 à 3 milliards d’euros par an (INRS). En pratique, 28% des arrêts longs en 2022 y sont liés contre seulement 14% en 2016 selon le baromètre Malakoff Humanis. La courbe est donc à la hausse et il est important de l’enrayer.  

Mais l’impact n’est pas seulement financier. Les entreprises se retrouvent privées d’employés talentueux. Les individus perdent leur personnalité et ils peuvent développer des désordres à long terme tels qu’une dépendance ou des maladies chroniques.  

Il a été rapporté un risque bien plus élevé de dépression, d’anxiété, de stress et d’idées suicidaires chez les vétérinaires en comparaison avec la population générale dans de nombreux pays. L’enquête sur la santé psychologique des vétérinaires menées en 2022 par l’Ordre des vétérinaires et Vétos-Entraide semble aussi aller dans ce sens.  

Quelles raisons se cachent derrière une baisse de santé mentale chez les vétérinaires ?  

La détresse mentale est de plus en plus explorée dans le milieu médical. Mais relativement peu d’études traitent du cas des vétérinaires et de leurs équipes. Et quand elles le font, la plupart du temps, elles parlent de fatigue compassionnelle et d’euthanasie.  

Pour rappel, la fatigue compassionnelle est directement liée à l’empathie. C’est cette capacité à ressentir les émotions de quelqu’un d’autre. D’arriver à se mettre à la place d’autrui. C’est typiquement quelque chose que l’on retrouve dans les professions médicales. Mais, pour le vétérinaire, la peine est double. Car il reçoit les émotions de l’animal en plus de celles de son propriétaire. L’épuisement émotionnel et donc un éventuel burn-out peuvent arriver rapidement. 

Ensuite, l’acte d’euthanasie en lui-même peut être une source de détresse. Une enquête par Helene S. Dalum & al (publiée en 2024) rapporte que le fait d’euthanasier plus de 5 animaux par semaine est associé avec des idées suicidaires. Mais outre la peine émotionnelle que le praticien peut ressentir sur cet évènement, ce sont parfois les conditions qui peuvent causer une blessure mentale.  

En effet, euthanasier reste un acte chargé en émotions. Mais c’est également un moment qui peut aller à l’encontre des croyances éthiques de chacun. Tout vétérinaire doit rester maître de ses décisions dans sa pratique de la médecine. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Ainsi être contraint de pratiquer ou même être témoin d’une euthanasie d’un animal en bonne santé peut causer une blessure mentale. Il en est de même pour des interventions purement esthétiques (telle que la coupe de la queue des chiots).  

Mais en dehors de ces considérations éthiques, il est une cause qui est majoritairement rapportée par les vétérinaires : la trahison d’un collègue en qui on a confiance et du harcèlement moral.   

Outre des études étrangères, un récent sondage informel avait été lancé sur un groupe vétérinaire français. Sur les 806 votants, 18% ont déclaré avoir subi du harcèlement moral durant leur carrière. Et 7% ont même déclaré en avoir été victime à plusieurs reprises.  

Ces résultats doivent tirer la sonnette d’alarme. En effet, ce sondage n’étant pas anonyme, on peut émettre l’hypothèse que nombreux sont ceux qui n’ont pas osé répondre. Comme cela a pu être observé sur des études anonymisées. La prévalence réelle du harcèlement moral dans le milieu vétérinaire a beau être inconnue, ce résultat reste tout de même inquiétant. 

Qu’est-ce que le harcèlement moral 

Ces mots sont malheureusement utilisés à tort et à travers. Il est devenu presque courant d’entendre quelqu’un dire qu’il se sent harcelé. Mais en est-ce pour autant ? La réponse est : rarement.  

Parmi tous les mots de la définition légale du harcèlement moral, il en est un qui a une importance capitale. C’est la notion de répétition. Sans elle, c’est seulement un conflit.  

Le harcèlement moral se caractérise donc par des agissements répétés qui ont pour finalité une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité d’autrui. Mais également d'altérer la santé physique ou mentale, voire de compromettre l’avenir professionnel.

Ces agissements peuvent prendre diverses formes tels que des allusions malveillantes ou des sous-entendus. Mais aussi des changements de discours, également appelés torsions de réalité. Cependant, la partie vicieuse du phénomène est que ces réflexions sont souvent faites sous le ton de l’humour. Elles sont donc vite " dédouanées " car on estime que l’agresseur a fait une blague de mauvais goût. La victime et les témoins ne font alors pas grands cas de ces remarques couvertes par un humour " discutable ".  Et cela permet au harcèlement moral de se propager insidieusement.  

Il est important de noter que dans les agissements types, on retrouve des plaisanteries ou des gestes obscènes. Cela s’explique par le fait que le harcèlement sexuel, que l’on connaît bien plus, n’est, en fait, qu’un pas de plus dans le harcèlement moral.  

Et chacune de ces réflexions est un coup dans la santé mentale de la victime. Qui s’étiole au fur et à mesure des jours. Semaines. Mois. Années.  

Quelles sont les conséquences du harcèlement moral ?  

On peut distinguer deux types de conséquences : celles sur la victime et celles pour la clinique.  

Pour la victime 

Les conséquences du harcèlement moral pour la victime vont directement dépendre de la " phase " dans laquelle elle se trouve.  

Dans un premier temps, la victime ne se rend pas compte de ce qu’elle subit. C’est là tout le vice du harcèlement moral. La victime a été manipulée pour ne pas comprendre ce qu’il se passe. Tout est mis en œuvre pour la laisser dans cet état de confusion. Persuadée que le problème vient d’elle, elle se culpabilise et s’isole.  

La victime perd toute confiance en elle et finit par douter de ses compétences comme de chacune de ses décisions. La relation malsaine instaurée par l’agresseur fait qu’elle va même se tourner vers lui pour obtenir de l’aide.  

Et c’est ainsi que d’une personne vivante et spontanée, la victime devient une personne effacée, fatiguée. Un fantôme de ce qu’elle était.  

Cette période peut durer des années. Mais il faut savoir que les premiers signes apparaissent dès quelques mois de souffrance mentale.  

Mais arrive un jour où la victime se rend compte de ce qu’elle subit. Soit parce qu’un témoin est venu lui porter assistance. Soit parce que sa détresse mentale est telle qu’il y a comme un électrochoc pour lui en faire prendre conscience. Malheureusement dans ce dernier cas, il est déjà trop tard. La victime est aux portes de la dépression. Et des idées suicidaires.  

Dans tous les cas, plusieurs phases vont être traversées : le choc, la décompensation, la nécessité d’une séparation puis l’inévitable réparation.  

Il faut comprendre que le harcèlement moral est un cambriolage interne. Quelqu’un est venu, à l’insu de la victime, dans la tête de celle-ci et a tout retourné. Le choc vient directement de la réalisation que quelqu’un s’est infiltré chez elle. En elle. 

Malheureusement, réaliser ce dont elle a été victime ne suffit pas à arrêter la suite. Les mécanismes du harcèlement moral sont en marche. Le sentiment d’inutilité est renforcé. L’état anxieux amplifié. Et les idées suicidaires pointent leur nez.  

Mais ces conséquences ne sont pas immuables. Une réparation est possible. Et la victime en ressort plus forte. Bien que des séquelles soient malheureusement possibles. C’est ainsi que l’alcoolisme en est souvent une conséquence. C’est d’ailleurs un mécanisme compensatoire souvent observé chez les vétérinaires. Mais on retrouve aussi la toxicomanie, des troubles alimentaires, des maladies chroniques, voire du stress post-traumatique.  

Toutefois, cette réparation passe obligatoirement par la séparation. Il est illusoire de vouloir rester avec son agresseur en essayant de guérir.  

Pour la clinique  

Si l’individu récolte des conséquences en tant que victime, il va sans dire que l’entreprise où cela se produit en a aussi. Même si celles-ci peuvent être bien plus subtiles.  

La première est très évidente : qui dit harcèlement moral, dit mauvaise ambiance. Les relations entre les différentes personnes de l’équipe deviennent difficiles. En dehors d’une distanciation sociale de la victime, les autres membres de la clinique, tout comme les clients, sont capables de sentir la " tension " dans l’air. L’énergie renvoyée est donc négative et affectent non seulement la fidélité des clients mais également le stress des animaux. Il est difficile de vanter un bien-être animal lorsque la simple présence de ce harcèlement génère un environnement anxiogène autant en consultation qu’en hospitalisation. 

Ensuite, résultat plus subtile et à plus long terme, le harcèlement provoque inévitablement une baisse du chiffre d’affaires. Si on occulte la partie " ambiance ", cela s’explique par la perte de confiance et d’efficacité de la victime. Celle-ci mettra moins d’efforts dans ses consultations, vendra moins d’examens complémentaires et pourra oublier de facturer certaines choses.  

Par ailleurs, la victime, incertaine de ses compétences, aura du mal à prendre des décisions. Elle se remettra en question à la moindre occasion. Et cela peut aboutir à des erreurs de diagnostic. 

Enfin, fatiguée et stressée, elle portera moins d’attention à ce qu’elle fait. Les examens cliniques seront expédiés. Le patient négligé. Les soins seront donc de moins bonne qualité.  

Malheureusement, il faut comprendre que toutes ces conséquences sont perceptibles pour un client qui prête attention. En dehors du chiffre d’affaires, la réputation de l’établissement peut alors également souffrir.  

Et si le moyen de réparation prévu est de se débarrasser de la victime, il faut comprendre que ces conséquences pèsent sur l’ensemble de l’équipe. La peur et le stress sont omniprésentes chez chaque membre de la structure. Les impacts cités plus haut sont donc inévitablement étendus à l’ensemble de l’équipe.  

Alors comment faire ?  

La réponse est plutôt simple : éviter le harcèlement moral. Mais pour cela, tout le monde a un rôle à jouer. Il ne faut pas hésiter à réagir quand une situation paraît inappropriée ou met mal à l’aise. Que l’on soit victime. Ou témoin. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont le plus de pouvoir. Étant extérieur à la situation, ils ne sont pas manipulés et peuvent donc intervenir avec assertivité pour protéger un collègue.  

Bien sûr, il est important de souligner que pour sortir d’un cas de harcèlement moral, il convient d’ouvrir le dialogue. Ces situations apparaissent souvent à cause d’un défaut de communication efficace et non violente. Chacun est différent. Chacun ressent et interprète différemment. La personne perçue comme agresseur peut ne pas se rendre compte de l’impact de ses mots. Ainsi, une discussion non violente et une écoute active peuvent permettre de régler beaucoup de problèmes de communication en entreprise. Et ainsi, résoudre une situation de harcèlement moral non perçue. En revanche, cette solution restera inefficace dans le cas d’un pervers narcissique qui ne se remettra jamais en cause. 

De plus, de nombreuses associations sont maintenant disponibles pour aider et soutenir les vétérinaires rencontrant ce genre de difficultés. 

Enfin, rappelons-nous que les accidents arrivent. Avoir un mot plus fort que l’autre est tout à fait possible. D’autant plus dans une profession où les émotions peuvent être fortes et explosives. Mais un mot d’excuse par la suite permet d’apaiser les relations. Après tout, nous sommes tous humains. 

 

Marine Delmer, 
Vétérinaire, CEO de La plume vétérinaire  et présidente d’Un moral aux abois 


Crédit photo : @ Un moral aux abois

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