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Vétérinaires et éco-responsabilité : l'inconcevable paradoxe !

Crédit photo © Studioanna, Anna Camerac
La communauté internationale scientifique nous alerte sur l’urgence de la situation. En quelques années, l’homme a détruit les 2/3 des populations d’insectes ; en quelques décennies, les 2/3 des mammifères sauvages (dont marins) ; et, en quelques millénaires, les 2/3 des arbres. On nous annonce un réchauffement de plusieurs degrés avant la fin du siècle qui va modifier tous les écosystèmes planétaires. Il est impossible aujourd’hui de nier les effets déjà visibles et qui ne vont faire que s’amplifier via des boucles de rétroactions complètement incontrôlables. Sècheresses, canicules, îlots de chaleur, inondations, méga-feux, montée des eaux… A rajouter à cela : pollution atmosphérique, de l’eau, du sol, destruction des habitats naturels, épuisement des ressources naturelles, érosion de la biodiversité pour ne pas dire 6ème extinction de masse… Quel triste état des lieux pour une amoureuse de la nature et du vivant. Un écosystème révèle à lui seul l’urgence de la situation : la mort présumée des coraux et de toute la biodiversité qui les entoure est prévue pour 2040. Pendant que, histoire de continuer à amplifier le phénomène, certains humains décident de faire des croisières pour aller visiter la banquise avant qu’elle ne fonde ou vont visiter les fonds marins avant qu’ils ne dépérissent. La planète nous survivra mais l’avenir ne semble pas très réjouissant pour les futures générations, et la biodiversité qui nous entoure et qui a le malheur de cohabiter avec nous.

Dissonance cognitive

Après avoir pris conscience de notre responsabilité collective dans ce dérèglement de l’« homéostasie » planétaire, j’ai fait le choix, comme beaucoup, d’agir à mon échelle dans ma vie personnelle. Mais cet engagement personnel est vite entré en dissonance avec ce que proposait ma profession. Je me suis donc retrouvée à tendre vers le zéro déchet à la maison et me voir remplir une poubelle en une journée de consultation, vendre des « biocides » toute la journée et militer quotidiennement en achetant bio (local et de saison), limiter au maximum l’utilisation de la voiture individuelle et provoquer des dizaines et des dizaines de déplacements quotidiennement. Tant d’actions qui pour la majorité des vétérinaires sont la normalité mais qui, pour moi, était un crève-cœur quotidien. Je devais être lucide : être irréprochable dans ma vie personnelle ne compenserait jamais les impacts de ma vie professionnelle. J’ai donc longtemps erré, seule, avec tous ces questionnements sur les impacts de notre profession.

Une vision en silo où seule la santé de l’animal compte

La standardisation de nos protocoles de désinfection en est un bel exemple. Plus personne ne réfléchit à savoir pourquoi il « pschitt » à tour de bras. Le moindre risque est banni, tout est mis en œuvre pour être certain du risque zéro, sans réfléchir aux conséquences à long terme de ce genre de pratique, sans prendre en considération les écosystèmes qui sont impactés par nos choix. Un peu comme les antibiotiques autre fois, rien ne nous résistera, surtout pas une bactérie !

Les co-résistances désinfectants/antibiotiques, la pollution des rivières par ces molécules, l’exposition humaine, la santé au travail, tant de sujets non abordés dans nos cursus. Et pourquoi au juste ? Pourquoi notre seule préoccupation doit-elle être la santé des animaux que nous avons sur notre table de consultation sans penser au reste ? N’y a-t-il pas une médecine vétérinaire EcoResponsable possible ? Pourquoi un enfant devrait être exposé à un biocide (pour ne pas dire pesticide) pour que Medor, petit Chihuahua qui ne quitte jamais les bras de sa propriétaire ne ramène pas de tique ? Pourquoi continuer à utiliser de la chlorhexidine pour les scrubs quotidiens lorsque les co-résistances aux antibiotiques sont démontrées et que la molécule est toxique pour les organismes aquatiques ? La vie des carnivores vaut-elle plus que la biodiversité des rivières ? La santé humaine est venue nous sanctionner quant à l’utilisation déraisonnée des antibiotiques dans notre profession par le passé. Faudra-t-il attendre que l’on vienne nous enlever nos libertés de prescription parce que nous n’aurons pas été capables d’anticiper les futurs enjeux ?

Des médicaments à l’impact obscur

Nos médicaments ? Suremballés, dans des matériaux non recyclables, parfois non déconditionnables à l’origine de gâchis. Mais surtout fabriqués dans des pays lointains, avec quel impact carbone ? Avec quelle résilience en cas de rupture des chaines d’approvisionnement ? Engendrant quelle pollution que nous ne pouvons (/voulons) pas voir dans les pays producteurs ? Quelle persistance dans l’environnement ? Quelle toxicité ? Parfois les études environnementales ne sont pas nécessaires dans certaines espèces et il faut donc être assez malin pour aller chercher les informations dans d’autres espèces. Mais qui se donne autant de mal ? Qui a le temps d’effectuer ces recherches ? Et à votre avis, plutôt 1 tonne de CO²eq par 18 euros de médicament ou par 1800 euros de médicaments ?

Dépendance mortifère au pétrole sous toutes ses formes

Et que penser de notre dépendance au plastique ? Puiser nos ressources pétrolifères, par définition non renouvelables, les transformer, les transporter plusieurs fois à travers le monde pour que nos consommables soit utilisés 2 minutes entre nos mains et jetés pour polluer (très) longuement nos océans, notre air, notre eau jusque nos neiges jusque-là qualifiées d’«éternelles» imprégnées aux microplastiques.

Rouler des dizaines de milliers de kilomètres par an en SUV sans se questionner sur l’optimisation des déplacements et se retrouver dans des situations aberrantes comme aller vacciner un cheval « en urgence » à 60km de la clinique pour qu’il puisse aller en compétition. Faire juste un calcul rapide et se rendre compte que ces déplacements à l’année (30 000 km dans cet exemple) sont équivalents à 5 tonnes de C0² quand les accords de Paris nous demandent d’être à 2 tonnes par personne.

Don’t look up

Alors, que fait le vétérinaire praticien pour la vie et pour la planète ? Demandons-le-nous collectivement. Sommes-nous subjugués par la beauté d’un métier qui veut faire le bien mais qui ignore ses effets néfastes ? Je pensais que nous étions des amoureux des animaux, voire de l’ensemble du vivant et que cette situation nous insurgerait. J’espérais qu’en tant que scientifiques, nous serions capables de comprendre les enjeux et les données actuelles. Alors pourquoi restons-nous si immuables devant l’urgence à laquelle nous devons faire face ? Est-il possible de faire ce métier différemment, de modifier notre manière de travailler sans mettre en danger nos petits patients à 4 pattes, en s’appuyant sur des données scientifiques ? Où trouver ces informations réelles et quantifiables sur les améliorations à effectuer ? En tant que défenseurs des animaux, n’avons-nous pas un devoir d’exemplarité ? Autrement dit, est-ce que notre métier n’aurait pas dû être un pionnier dans cette réflexion pour la sauvegarde du vivant ? Dans ma vie de tous les jours, je regarde l’humain en pensant qu’il ne sera jamais à la hauteur. Mais dans ma vie de vétérinaire, j’en attends un peu plus de ma profession empathique et sensible à l’égard de la cause animale et du vivant, et qui plus est, disposant des capacités cognitives de compréhension des mécanismes sous-jacents. Finalement, pour l’instant nous sommes juste malheureusement le reflet de notre société : une profession avec des œillères, réfléchissant en silo, et n’arrivant pas à prendre de la hauteur pour contempler objectivement nos externalités négatives. Il est peut-être temps que l’on ne nous apprenne plus seulement à savoir suivre le panier moyen de nos clients mais bien à prendre en compte, lors de nos choix, la santé planétaire et le dérèglement climatique. Et ne devons-nous pas aller encore plus loin et prendre notre part dans la sensibilisation à ces enjeux ? Ne devons-nous pas réfléchir collectivement au réel sens de notre mission dans ce contexte ? Car pour l’instant, nous faisons partie de ce système prédateur de ressources et destructeur du vivant.

Engagement et action

Personnellement, j’ai déjà fait mes choix et mon temps n’est et ne sera plus consacré à poursuivre mon activité sans en considérer son impact dans son entièreté. Tous les jours, je continue de m’engager dans la préservation de la planète, pour les animaux que j’aime tant et pour les générations futures dont font partie mes enfants. C’est pour moi le seul moyen de vivre en accord avec mes convictions les plus profondes, d’être droite dans mes bottes tous les jours de la semaine et de continuer d’exercer ce métier. Individuellement je ne trouvais pas de réponse à toutes ces questions et je n’avais pas assez d’influence pour changer réellement les choses. J’ai donc choisi de faire confiance et de participer à l’intelligence collective de ceux qui, comme moi, se posent des questions. C’est une solution parmi d’autres pour initier le changement. Mais j’espère qu’ainsi, nous pourrons obtenir des chiffres sur notre profession et des Analyses de Cycle de Vie des médicaments et des dispositifs médicaux. Que nous pourrons obtenir des données objectives et indépendantes sur les impacts de certaines molécules en mettant en commun nos recherches. Que nous pourrons échanger sur nos bonnes pratiques et nos essai-erreurs. Que nous pourrons choisir des équipes qui acceptent nos questionnements et nos remises en question. Que tous les jours, nous pourrons ainsi avancer à petit pas vers une diminution de notre impact sur cette planète tout en continuant de prodiguer des soins de qualité. Et j’invite nos instances ordinales et syndicales à rejoindre la réflexion pour faire évoluer notre profession au regard de ces enjeux.


Aujourd’hui je ne me sens plus seule, aujourd’hui je suis forte de cette émulation collective autour de ces enjeux. Et aujourd’hui j’ai juste envie de crier au monde vétérinaire : REVEILLEZ-VOUS, les animaux ont besoin de vous.

 

Floriane Lanord,
Vétérinaire & Membre active d'ÉcoVéto

 

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