Avec un différentiel inégalé entre l’offre et la demande sur le marché de l'emploi vétérinaire en 2021, il est peut-être temps de changer de paradigme, de construire un autre métier, sur de nouvelles fondations. Plutôt que de continuer à se résigner, il est grand temps de s’indigner. Pour évoluer...
Étape n°1 : prendre conscience
Nous avons la chance d’avoir fait de longues et belles études très structurantes, qui nous permettent de penser. Nous n’avons pas l’excuse de l’ignorance. Il n’y a pas de circonstance atténuante pour nous car nous avons les moyens intellectuels d’appréhender le monde qui nous entoure.
C’est la première étape : ouvrir grand ses yeux pour regarder la réalité en face et éveiller sa conscience. Puis, ne plus détourner le regard.
Étape n°2 : déconstruire
Déconstruire, c’est entamer le démantèlement sélectif et réfléchi de ce qui n’a plus sa place. Alors certes, il s'agit d'un concept " à la mode " et sujet à controverse en ces temps d'élection présidentielle, surtout lorsqu'on l'associe au féminisme, au wokisme ou à la cancel culture. Loin de ces sujets polémiques, il s'agit ici d'y voir le moyen de changer son regard sur la profession et donc de changer sa manière de l'aborder.
Après avoir ouvert les yeux, il faut ouvrir grand ses oreilles. Pour écouter sans juger… Il ne peut y avoir de libération de la parole sans libération de l’écoute. Parce qu’être capable d’écouter, c’est légitimer la parole, c’est donner le droit d’incarner le récit.
Il faut ensuite lever l’anesthésie – quelques cc d’Antisédan – pour retrouver sa sensibilité. Redevenir sensible d’abord à soi, puis aux autres...
Enfin, il faut parler. Aux consœur·frère·s mais aussi aux personnes extérieures à notre profession : à nos proches, à nos clients même. Pour raconter notre métier tel qu’il est, ce qu’il a de beau bien sûr mais aussi ce qu’il a de laid, de dur, de violent. C’est parce qu’on ose dire sa souffrance et crier son indignation qu’on peut regarder le métier en face et le changer !
Étape n°3 : prendre le mal à la racine
L’impulsion du changement doit venir de l’amont, dès notre formation. Nos écoles sont le premier lieu de construction du métier. Comment les imaginer autrement qu’un refuge pour les jeunes vétérinaires en devenir, les moins expérimentés et les plus vulnérables d’entre nous ? S’il arrive malheureusement parfois qu’elles soient le lieu où s’exercent des violences, elles doivent surtout être l’endroit où se construisent les luttes.
Étape n°4 : construire au quotidien
Nos structures sont le deuxième lieu de construction du métier. Nous avons tous une responsabilité individuelle et collective et par conséquent, nous détenons une partie de la solution. Comment imaginer que nos cliniques puissent être autre chose qu’un lieu où s’exercent l’entraide et la bienveillance dans un objectif commun de soins aux animaux ? Elles sont le laboratoire du métier de demain, nous ne devons pas l’oublier.
Étape n°5 : protéger la profession
La volonté du changement doit également venir d’en haut. Nos instances professionnelles sont le troisième lieu de construction du métier car elles sont là pour nous défendre. Comment imaginer un seul instant qu’elles puissent rester inertes sur ces questions ? Pour continuer à nous protéger, elles doivent condamner sans ambiguïté ce qui autrefois était qualifié de « banal » ou de seulement « peu bienveillant ». Elles doivent porter un message fort qui favorisera l’acculturation des vétérinaires aux nouvelles aspirations sociétales et professionnelles.
Vous me pardonnerez j’espère, la métaphore hippique qui suit car elle illustre parfaitement mes propos et montre à quel point je reste attachée à mon ancien métier.
Tel un trotteur lancé à pleine vitesse sur la piste de la norme, enrêné et muserollé, langue attachée, avec des œillères et des bouchons d’oreilles, nous sommes depuis trop longtemps soumis, résignés, aveugles, sourds et muets. Nous suivons la trajectoire que notre driver a décidé pour nous. Mais il est une chose qu’il ne faut pas oublier : le monde bouge et les normes changent. Il devient possible pour nous de retirer nos œillères, notre enrênement, notre attache-langue, notre muserolle et nos bouchons d’oreilles. Évidemment, c’est prendre un risque : celui de voir la réalité en face et ne plus pouvoir s’en défaire. Celui d’avoir envie de remettre ses œillères, coûte que coûte, et de se sentir coupable pour ça. Ou à l’inverse, celui de s’épuiser dans une bataille perdue d’avance, d’être exclu par ses pairs pour finir à l’écart du peloton. Peut-être même le risque de quitter la piste, comme je l’ai fait moi-même...
Mais fort heureusement, nous sommes de plus en plus nombreux à ouvrir les yeux, à délier notre langue. Et demain, il faut espérer que les vétérinaires praticiens ne quitteront plus la piste, mais qu’ils lui donneront une autre trajectoire, qu’ils auront choisie en conscience et que personne d’autre n’aura décidé à leur place.
Marine Slove,
Vétérinaire & Éditrice associée