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Se sentir vétérinaire quand on ne pratique plus

Crédit photo © thodonal - stock.adobe.com
Il y a quelques semaines, alors que nous étions en voiture pour aller acheter des hortensias, mon mari m’a posé cette question, venue de nulle part : " Tu te sens encore vétérinaire ? " Il avait précisé juste avant : " Ne le prends pas mal mais… ", c’est qu’il devait se douter que sa question, si innocente soit-elle, n’était pas totalement anodine. Pour vous remettre dans le contexte, j’ai pratiqué durant des années avant de tourner cette page, plus ou moins volontairement, poussée vers la sortie des cliniques par des ennuis de santé qui rendaient, pour moi, la pratique délicate. Cela fait maintenant plusieurs années que j’ai troqué scalpel et stéthoscope au profit des stylos, cahiers et autres ordinateurs…  ➡ Si vous voulez en savoir plus sur mon parcours, écoutez Épisode #04 - Manuelle Hoornaert - Réinventer dix fois sa carrière. Mais revenons à nos moutons : prise au dépourvu par sa question, je n’ai pas su répondre. " Que veux-tu dire par là ? Je suis vétérinaire. " Et voilà, cela aurait pu s’arrêter là mais mon cerveau en a décidé autrement : " Suis-je encore vétérinaire ?", " Est-ce que je me sens encore vétérinaire ? " Une vraie remise en question qui frôle la crise identitaire, et pourtant…

Qu’est-ce qui fait de nous des vétérinaires ?

Vaste question. Savez-vous que le terme identité, étymologiquement parlant, veut dire : « ce qui fait qu'une chose, une personne est la même qu'une autre, qu'il n'existe aucune différence entre elles » (Jehan Bras-de-Fer, Pamphile et Galatée, 1154). Autrement dit, si le fait d’être vétérinaire fait partie de mon identité, de ce que je suis, si je me sens vétérinaire, alors cette caractéristique je devrais la partager avec tous mes confrères et toutes mes consœurs. Mais alors, quel est notre point commun à tous ? Quelle caractéristique commune nous unit ? Qu’est-ce qui fait que l’on se sent vétérinaire ?

La première chose qui me vient à l’esprit : c’est notre diplôme ! Ce que l’on a de commun, c’est d’avoir obtenu le diplôme de docteur vétérinaire. C’est ce diplôme qui nous confère le droit d’exercer, c’est donc lui qui fait de nous des vétérinaires. Évident, non ?

Mais si ce diplôme nous permet d’exercer, alors faut-il exercer pour " être " vétérinaire ? Faut-il forcément soigner de animaux pour se sentir vétérinaire ? Le fait d’avoir obtenu notre diplôme ne suffirait pas alors, il faut en plus l’utiliser. L’utiliser pour soigner des animaux, il faut être vétérinaire praticien.

Mais alors, un vétérinaire qui ne fait pas de pratique à proprement parlé, mais qui travaille indirectement à la santé des animaux, n’est-il pas vétérinaire ? Je pense, par exemple, à tous les confrères et consœurs qui travaillent dans les laboratoires, qui font de la recherche médicale, qui enseignent aux futurs vétérinaires… Tous ces vétérinaires non-praticiens qui œuvrent à la santé animale ou plus largement au " one health " sont bel et bien vétérinaires. Ils ont d’ailleurs été recrutés, en partie du moins, grâce à leur diplôme de véto.

Et qu’en est-il alors des vétérinaires diplômés non-praticiens dont l’activité professionnelle n’a plus rien à voir avec la santé animale ? Ou même des vétérinaires diplômés qui ne travaillent plus du tout ? Se sentent-ils encore vétérinaires ? Sont-ils encore vétérinaires ?

Est-ce que le fait de ne pas, ou de ne plus, exercer la médecine vétérinaire, alors même que l’on est titulaire d’un doctorat en médecine vétérinaire, suffit à faire qu’on ne se sente plus véto ?

À ce stade mon réflexe a été de me dire, la vérité sortant de la bouche des enfants, je vais leur demander, à mes enfants, si je suis vétérinaire. Réponse unanime et froide : « Ben non maman, t’es prof ! » (Bon j’en conclus au passage que mon dernier changement de poste n’est pas totalement intégré). Cela dit, derrière cette question à ma progéniture, une autre se cache : nous sentons-nous vétérinaire à condition d’être perçus comme tel par nos proches, par nos pairs et par la société ?

Qu’est-ce que l’identité professionnelle ?

Quand on rencontre une personne, bien souvent, une des premières questions qu'on lui pose est : " Vous faites quoi dans la vie ? " Cette question sous-entendant en fait : " Quelle est votre profession ? " Comme si pour connaître quelqu’un, pour s’intéresser à quelqu’un, le plus efficace était de savoir quel métier exerce cette personne. Et pourtant, notre profession définit tout au plus notre identité professionnelle. Or cette identité professionnelle suffit-elle à nous définir personnellement ? Que dit mon métier de moi ? Si tous les vétérinaires ont en commun un diplôme de vétérinaire, est-ce que cela en dit nécessairement beaucoup plus sur la personnalité individuelle de chacun de ces vétérinaires ?

Il semble évident que l’ensemble des vétos partagent des caractéristiques. Mais lesquelles ? Qu’avons-nous réellement en commun ? Notre amour des animaux ? Je dirais que c’est vrai pour la plupart d’entre nous mais pas forcément pour tous. Notre amour de la médecine ? Même réponse. Notre côté scientifique ? Là, il semble indéniable que nous n’aurions pas obtenu notre diplôme sans, mais de réelles variations d’aptitude demeurent tout de même.

Si j’affirme être vétérinaire : que peux réellement en conclure mon interlocuteur ? Généralement, par expérience, il va en déduire que je soigne des animaux et va me demander où j’exerce ? Et, quand je leur réponds que je n’exerce plus, inévitablement, je vois la lueur dans leurs yeux, celle apparue à l’annonce de ma profession, s’éteindre. Et je peux alors me surprendre à me poser la question : suis-je encore légitime à me dire vétérinaire ?

Pour la population générale, quand vous dites " vétérinaire " cela signifie vétérinaire praticien. Éventuellement, le commun des mortels admet qu’un vétérinaire puisse être non-praticien, à condition de travailler dans la santé animale au sens large. Mais si votre métier s’éloigne trop de l’intérêt direct des animaux, alors vous ne serez plus réellement perçu comme un vétérinaire. Et même si cela vous évitera les perpétuels : « Ah tiens, toi qui es véto, tu peux me dire ce qu’il a mon chat ? » ; vous pourriez bien vous sentir frustré de cette perte de reconnaissance.

Et finalement vétérinaire ou pas ?

Il faut que je vous dise : après la fameuse question posée innocemment par mon mari, je me suis sentie déboussolée, alors j’en ai parlé. À mes proches d’abord, qui ont souri. Pourquoi ont-ils souri ? Puis, ils m’ont dit, bien sûr que tu es vétérinaire ! Tu as suivi et validé des études de vétérinaire donc tu es et tu resteras vétérinaire toute ta vie. Ok. Mais la question exacte était : est-ce que je me sens encore vétérinaire ? Et là, la réponse est en moi. J’ai du coup posé la même question à des confrères et des consœurs qui eux non plus, ne sont plus praticiens. Cette question, pourtant simple, a entraîné des débats et des réflexions profondes. Si je résume : nous sommes vétérinaires. Nous avons été formés, nous avons ou pas pratiqué mais c’est un peu comme le permis de conduire, une fois que tu l’as, tu l’as ! On ne nous retirera donc jamais le fait d’être vétérinaire (sauf bien sûr en cas de faute grave).

Quant à se sentir véto, il semblerait que cette question soit bien plus complexe. Un mélange de : “se sentirait-on encore légitime à exercer comme vétérinaire praticien ?” Et de : “joue-t-on toujours un rôle dans l’écosystème vétérinaire ?”


Les réponses à toutes ses questions (que de " ? " utilisés dans cet article !) sont évidemment très personnelles. Chacun vit les choses à sa manière et c’est d’ailleurs ce qui fait la richesse des échanges que l’on peut avoir entre confrères et/ou consœurs. Pour ma part, je dirais aujourd’hui que je suis et me sens encore vétérinaire ! J’ai fait le deuil de la pratique ce qui n’a pas été simple et a pris du temps, et je ne me sens donc plus vétérinaire praticienne. Pourtant je joue un rôle dans l’écosystème vétérinaire ce qui me permet de me sentir véto. Et si j’avais totalement changé de domaine professionnel ? Eh bien, je ne peux rien affirmer, ne l’ayant pas vécu, mais je crois que je me sentirais vétérinaire malgré tout. Même si le fait d’être vétérinaire ne me définit pas, cela fait partie de moi et de ma construction personnelle et j’en suis fière !

 

Manuelle Hoornaert
Vétérinaire & Rédactrice en chef

 

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