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L'alcool chez les étudiant·e·s vétérinaires

Crédit photo @Marino Bocelli - stock.adobe.com

De manière générale, les étudiant·e·s vétérinaires aiment faire la fête. Beaucoup. Pendant les soirées, presque tous·tes consomment de l’alcool… parfois beaucoup d’alcool. Trop ? Alors que le premier mois de l'année s'est écoulé il n'y a pas si longtemps, quelques personnes se sont peut-être prêtées au jeu du " Dry January ", un défi-santé consistant à ne plus boire une seule goutte d’alcool pendant tout le mois. Une simple occasion de mettre son foie au repos pour certain·e·s, ce challenge peut également être l’opportunité d’interroger sa relation à l’alcool pour d’autres.


En France, l’alcool est souvent associé aux moments conviviaux, à l’esprit festif et aux retrouvailles. Largement banalisée, la consommation d’alcool est même régulièrement encouragée, particulièrement dans les milieux étudiants. L’intégration en école vétérinaire est un véritable rite de passage, qui a encore du mal à s’envisager sans un petit (gros) verre à la main ! Et c’est vrai, l’alcool accompagne de nombreux moments joyeux et chaleureux, tout en levant certaines inhibitions. Mais comment faire la part des choses entre une consommation raisonnée et occasionnelle, et une consommation problématique, échappant à tout contrôle ? Les habitudes de consommation prises à l’école posent-elles les jalons d’un alcoolisme futur ? En se gardant de toute attitude moralisatrice, essayons dans cet article de comprendre la relation que les étudiant·e·s entretiennent avec l’alcool, et comment identifier les situations les plus à risque.

Ami, véto, lève ton verre !

Sur le doux son des chansons paillardes, les nouvelles promotions d’étudiants vétérinaires sont accueillies lors de la semaine et du week-end d’intégration. Au-delà des rites et coutumes propres à chaque école, il y a un élément qui ne change pas beaucoup : l’alcool s’invite à toutes les soirées. Après deux ou trois années de classe préparatoire (ou autre voie d’accès au concours), on peut ressentir l’urgence de retrouver un peu de liberté, tout en faisant sauter filtres et barrières d’un lever de coude décomplexé. Consommer de l’alcool est en effet un moyen très efficace pour accéder à l’ivresse tout en se départant de sa timidité. Lors des premières soirées, l’alcool agit comme un facilitateur du lien social. Boire permet de se sentir plus joyeux, d’aller plus volontiers vers les autres, de se lâcher. L'alcool est d’ailleurs directement associé au plaisir festif, et sa consommation est donc socialement encouragée.

Lorsqu’ils arrivent en première ou seconde année d’école vétérinaire, les étudiants sont rarement déjà des buveurs réguliers. Cette pratique arrive après une certaine forme d’initiation, généralement débutée pendant la semaine de poulottage puis entretenue lors des divers événements étudiants. Ce sont habituellement les parrains et les marraines qui proposent (en usant de plus ou moins de force de persuasion) à leurs nouvelles recrues de consommer. Même si elle n’est pas ressentie comme telle par tous, il existe une certaine forme de pression à boire, et ceux qui s’y refusent devront parfois redoubler d’efforts pour s’intégrer au même rythme que les autres. Les vécus des uns et des autres sont très différents selon les personnalités et les sensibilités, mais plus le temps passe et plus les semaines d’intégration s’éloignent du bizutage agressif d’autrefois.

La consommation d’alcool pendant ses études n’est toutefois pas un apanage exclusivement véto, même si certains s’en enorgueillissent. Selon l’enquête USEM de 2021, 80% des étudiants déclarent consommer de l’alcool, 39% ont conscience d’avoir déjà trop bu et, plus inquiétant, 20% sont des buveurs excessifs.

Consommation d'alcool et mal-être étudiant

L’alcool à l’école, c’est donc tout un folklore. Mais si derrière les boissons alcoolisées se cache la promesse de partager des moments conviviaux, il ne faut pas en oublier le côté plus sombre. Les étudiants constituent un groupe social particulièrement sujet à la dépression et à l’anxiété. Soustraits au contrôle parental, ils intègrent un nouvel environnement, avec de nouvelles règles et de nouvelles coutumes. Pour certains, boire peut devenir une façon peu chère et socialement acceptable de combattre des situations négatives telles que le stress, la solitude, les doutes concernant son avenir. Chez les étudiants vétérinaires, les symptômes dépressifs seraient associés à une relation plus " à risque " avec l’alcool, qui serait utilisé comme moyen de régulation des émotions [1].

Depuis la pandémie, les comportements anxieux et addictifs se sont aggravés. Boire devient donc une façon de cacher un malaise, ou bien de relâcher la pression. Même si l’obtention du concours véto fait partie des étapes les plus difficiles du cursus, la suite des études n’est pas pour autant une promenade de santé. Les différents examens qui jalonnent notre long parcours occasionnent leur lot de stress, certains en cauchemardent encore, des années après !  

Il n’est donc pas surprenant que les statistiques dans la population générale révèlent que 54% des étudiants boivent pour échapper au stress et à la pression (étude de la SMEREP, 2017).

Quand la consommation d'alcool devient problématique

La consommation d’alcool est un fait social : la boisson est non seulement un produit de consommation courante, mais également un objet au cœur des relations humaines. C’est justement parce que l’alcool étudiant est associé à un usage de groupe que la prise de conscience des dérives associées est difficile. La sensibilisation des futurs vétérinaires est donc délicate, car ils peuvent ne pas se retrouver dans l’image qu’ils auraient d’une personne alcoolique. Dans l’imaginaire collectif, boire avec excès et ponctuellement lors des soirées serait moins problématique que boire seul chez soi régulièrement.

Pourtant, du strict point de vue de la santé, il n’existe pas de niveau minimum de consommation qui soit sans danger.

L’étude publiée par la revue médicale The Lancet en 2018 [2] alerte ainsi sur les risques de l’alcool dès le premier verre. Les auteurs estiment que boire un verre par jour pendant un an augmente de 0,5% le risque de développer l’un des 23 problèmes de santé liés à l’alcool (cancers, maladies cardiovasculaires, cirrhose…).

Une nouvelle étude de 2022 [3] vient toutefois nuancer ces observations, et rappelle que les rapports entre la santé et une faible consommation d’alcool sont complexes.

Par ailleurs, les risques d’une consommation excessive existent également à court terme : perte de conscience, troubles de la mémoire, conduite en état d’ébriété, décrochage scolaire… Les étudiants vétérinaires sont généralement responsabilisés et désignent plusieurs conducteurs par soirée pour éviter les accidents. Les administrations des écoles sont également beaucoup plus vigilantes et font de la prévention une de leurs priorités, mais la question de l’alcool chez les étudiants reste un sujet d’actualité.

Quant aux rapports de dépendance que l’on pourrait entretenir avec la boisson, on peut utiliser les repères fixés par l’Agence de Santé Publique France. Si l’on boit plus de deux verres par jour, dix verres par semaine et que les jours où on ne boit pas deviennent de plus en plus rares, alors on s’expose à un risque de perte de contrôle de sa consommation. Il est également possible de répondre aux quelques questions du test AUDIT pour évaluer son rapport à l’alcool.

En cas de doute ou de difficulté, il est nécessaire de se faire aider, par exemple en contactant la ligne Alcool Info Service ou le Fil Santé Jeune.


Chez les étudiants vétérinaires, la consommation d’alcool s’inscrit donc dans un climat de fête, et remplit ainsi pleinement son rôle social. Les statistiques épidémiologiques montrent pourtant qu’une initiation précoce à l’alcool et une consommation excessive chez les jeunes exposent au risque d’un usage problématique futur. Peu d’études s’intéressent à la consommation d’alcool des vétérinaires en exercice, et celles qui existent [4] montrent que ceux-ci consomment certes plus fréquemment de l’alcool, mais en quantité moindre à chaque fois, que dans la population générale. Peut-être faudrait-il renforcer encore les messages de prévention et sortir de la normalisation de l’alcool, pour que sa consommation puisse se faire plus en conscience chez les étudiants, et loin de toute pression sociale.

 

 

Astrid de Boissière,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] A. Diulio, N. Dutta, J. Gauthier, T. Witte, C. Correia, D. Angarano. Associations among depressive symptoms, drinking motives, and risk for alcohol-related problems in veterinary students. J Vet Med Educ. 2015 Spring;42(1) : 11-7 ;

[2] M.G. Griswold, N. Fullman, C. Hawley et al, Alcohol use and burden for 195 countries and territories, 1990-2016 : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2016. Lancet. 2018; 392 : 1015-1035 ;

[3] D. Bryazka, M. Reitsma, M.G. Griswold et al, Population-level risks of alcohol consumption by amount, geography, age, sex, and year : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2020. Lancet. 2022; 400 : 185-235 ;

[4] D. Bartram, J. Sinclair, D. Baldwin. Alcohol consumption among veterinary surgeons in the UK. Occup Med (Lond). 2009 Aug;59(5) : 323-6.

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