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Écriture inclusive chez les vétérinair·e·s, ça va pas ou quoi ?

Il y a quelques mois, j’ai reçu mon premier article en écriture inclusive. Quelle ne fut pas ma surprise. Un confrère ♂ en plus ! Je vis à la campagne mais pas non plus dans une grotte : je sais que cette écriture controversée s’est invitée partout ces dernières années : dans la presse, à l’université, parfois même dans des institutions publiques. Mais parmi les vétérinaires, tout de même ! La question m’est alors apparue pour la première fois : « c’est vrai ça, qu’est-ce qu’iels (oui, il faut vous y mettre dès maintenant, tout l’article est écrit comme ça) en pensent mes consoeurs·frères ? » Après tout, nous évoluons dans un secteur professionnel où les étudiants vétérinaires sont à 73,5% des étudiantes [1], où 76,7% des primo-inscrits de moins de vingt-neuf ans au tableau de l’Ordre sont des primo-inscrites [1] et où 97 % des auxiliaires sont des femmes [2]. J’aurais sûrement pu me poser la question avant, je vous le concède. Mais à ce moment-là, je suis restée bloquée devant mon écran d’ordinateur à me demander si je pouvais décemment publier cet article en l’état. En l’absence de convictions suffisamment claires et étayées sur la question, j’ai décidé que non. Ceinture et bretelles ! Inutile de cristalliser les passions et de s’attirer les foudres des pro ou des anti sur un sujet aussi polémique tant qu’on n’en connait pas les tenants et les aboutissants ! J’ai donc hypocritement remplacé tous les points par des parenthèses, prévenu l’auteur et ajouté dans ma to do list « peser les pour et les contre de l’écriture inclusive pour l’inclure ou (paradoxalement) l’exclure de notre ligne éditoriale ». L'esquive et le retranchement ayant assez duré, il a bien fallu que je m’attelle au sujet pour me sentir à même d’arbitrer. Je vous livre ici mes réflexions, dans le strict respect des règles de l’écriture inclusive. Ainsi, vous jugerez vous-même si elle entrave votre lecture et moi, mon écriture…

Commençons par le commencement : c’est quoi l’écriture inclusive ?

Techniquement, l'écriture inclusive est un ensemble de pratiques, règles et graphies dont l’objectif est de respecter une stricte égalité entre le masculin et le féminin. Idéologiquement, l’objectif est de gommer dans le langage écrit ce qui, pour certains, s'apparente à des stéréotypes ou même à des discriminations sexistes et de lutter contre l’invisibilisation des femmes dans le langage.

Ce type d’écriture passe par différentes règles comme accorder les métiers et titres en fonction du genre (autrice, magistrate, etc.) ou inclure au pluriel les deux sexes grâce à l'utilisation du point médian. Ainsi, le masculin « ne l'emporte plus » sur le féminin car on écrit "les lecteur·ice·s", "les citoyen·ne·s" ou bien "les étudiants et les étudiantes". Elle promeut l’accord de proximité, comme écrire « l’entraîneur et ses joueuses ont été exceptionnelles » en accordant l’adjectif au nom le plus proche, ici le féminin. Elle évite également l’emploi des mots "homme" et "femme" en leur préférant des termes plus universels comme "les droits humains", en lieu et place des "droits de l'homme".

Ses prémices remonteraient aux années 1980. En effet, sous l’impulsion des mouvements féministes, une commission créée en 1984 avait abouti à une circulaire visant à imposer la féminisation des noms de métiers, de fonctions et de titres dans les documents administratifs, qui d’ailleurs n’a jamais été appliquée. En outre, cela fait quarante ans qu’elle suscite l’ire de l’Académie française, puriste du genre, qui ne voit en elle qu’une menace pour la langue de Molière…

Qui est sur le ring ? 

Les pro et les anti s’écharpent sur la scène médiatique et les linguistes elleux-mêmes ne sont pas d’accord avec son emploi, ni même avec sa signification. Pour ses promoteur·ices·s, l’écriture inclusive est perçue comme un progrès social car il s’agit de rétablir une certaine égalité langagière. Les règles « le masculin l’emporte toujours sur le féminin » ou l’utilisation systématique du masculin pour désigner un groupe prêtent à confusion et sont perçues comme une invisibilisation des femmes dans le langage.

On observe cependant des nuances de point de vue entre les militant·e·s dur·e·s, qui veulent généraliser et imposer à tous·tes cette nouvelle manière d’écrire et de parler, et les plus modéré·e·s (qui comptent parmi elleux des linguistes) qui prônent au contraire une flexibilité et la possibilité d’une utilisation partielle et raisonnée.

Côté détracteur·ice·s, on s’inquiète du caractère paradoxalement « excluant » de l’écriture inclusive. Dans une tribune publiée en septembre 2020 [3], une trentaine de linguistes avancent ses défauts fonctionnels et évoquent une complexification de la langue française qui rendrait son apprentissage plus difficile, non seulement pour les personnes atteintes d’un handicap (malvoyance, dyslexie, dyspraxie, etc.), mais aussi pour tous les jeunes enfants en cours d’apprentissage. Ces linguistes déplorent le fait que l’écriture inclusive n’ait été abordée que sous l’angle idéologique, accrocheur sur le plan médiatique, et pas sous l’angle scientifique et rigoureux de la linguistique. Ils insistent sur la différence entre le genre des mots et le sexe et réfutent la thèse selon laquelle le genre grammatical aurait un quelconque effet sur nos représentations du monde, arguant un rôle purement morphosyntaxique du genre. En résumé, il n’y a pour eux aucune corrélation entre le genre des mots et le sexe référant car la linguistique serait faite d’arbitraire et de conventionnel.

« Apprends à user de modération en toute chose, trop est un défaut »

Si le débat est houleux et déclenche de si vives polémiques, c’est évidemment parce que l’écriture inclusive a investi le terrain politique et traite au fond, d’un enjeu de pouvoir. Lorsque deux points de vue semblent irréconciliables et que le débat fait rage de part et d’autre, chacun accusant l’autre de raisonnements captieux et de contrevérités, il suffit bien souvent de positionner son curseur à mi-chemin pour se trouver juste en regard d’un raisonnement mesuré. A notre époque, la nuance et le désormais célèbre « en même temps » ont parfois du bon... En modérée que je suis, je me retrouve personnellement assez alignée avec les positions de Julie Neveux, maîtresse de conférence en linguistique à la Sorbonne et d’Eliane Viennot, linguiste et professeure émérite de littérature de la Renaissance à l'université Jean-Monnet-Saint-Étienne, qui défendent l’idée que les langues s’accommodent fort peu des positions dogmatiques et sont de toute façon le fruit d’une appropriation par leurs locuteurs [4] [5], c’est-à-dire nous.

Argument intéressant, Julie Neveux et Eliane Viennot rappellent que jusqu’au XVIIème siècle, des mots comme médecines, autrices, poétesses ou peintresses étaient couramment utilisées, et expliquent que trois cents ans de domination patriarcale les ont tout simplement éradiquées car ils étaient jugés correspondre à des activités réservées aux hommes (à ce titre, il est heureux que vétérinaire soit épicène). Le dogme est partout… Mais la vraie question demeure « faut-il y répondre par un nouveau dogme ? ». Si on décide que non, l’écriture inclusive devient simplement une nouvelle ressource linguistique disponible, à utiliser comme bon nous semble et au gré de nos besoins.

Quid de ces réflexions pour Témavet ?

Incontestablement, c’est ce raisonnement modéré qui guidera notre ligne éditoriale. Personnellement, je ne souhaite pas écrire tous mes articles en écriture inclusive parce que je n’ai pas envie de passer du temps à me relire - comme je viens de le faire ici - pour ajouter des points médians et vérifier si le mot le plus proche de l’adjectif est masculin ou féminin pour accorder mes pluriels (et je ne vous parle pas de mon correcteur automatique d’orthographe qui vient de me donner sa dém’). Et encore, je me dis que j’ai de la chance que « vétérinaire » et « auxiliaire » se terminent par des « e », ce qui m’a économisé pas mal de points médians.

En revanche et plus sérieusement, j’aime à écrire « consoeurs·frères » en mettant le « sœurs » avant le « frères » ou « chèr·e·s » car il s’avère que les trois quart de mon lectorat sont des femmes. J’aime aussi utiliser l’écriture inclusive dans des contextes précis, lorsque j’ai besoin d’y souligner l’importance des femmes. En outre, je me dis que l’inclusivisme linguistique strict et imposé pourrait donner l’impression à nos lecteurs d’un militantisme ostentatoire qui ne correspondrait pas à nos valeurs et qui pourrait même in fine avoir pour effet contre-productif de produire un clivage supplémentaire dans une profession qui n’a vraiment pas besoin de ça.

De plus, nous laisserons désormais à nos auteur·ice·s le soin d’utiliser (ou pas) l’écriture inclusive comme iels l’entendent. Libre à elleux de prélever ce qu’iels souhaitent dans l’arsenal linguistique inclusif à leur disposition, en fonction de leurs besoins et de leurs convictions.

A l’heure des flexitariens, il sembleraient donc que je sois devenue flexinclusive…

Et pour vous, au sein de vos cliniques ou de vos entreprises de l’écosystème vétérinaire ?

L’écriture inclusive est loin d’être la première préoccupation des vétérinaires, bien entendu et fort heureusement. Pourtant, certain·e·s d’entre vous l’utilisent déjà dans leurs emails, leurs communications ou même parfois dans leurs courriers client·e·s. Elle y a toute sa place, si vous décidez qu’elle cadre avec les valeurs de votre structure. Elle pourra alors envoyer un message fort à vos équipes, sur votre prise de position en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes par exemple et même pourquoi pas avoir une influence sur votre marque employeur. Le sujet est en tout cas entre vos mains.


Finalement, j’aime à croire que la langue est à tout le monde et qu’il nous appartient de nous l’approprier et de la faire évoluer. On parle comme on vit, on écrit comme on est… Quelle meilleure conclusion que cette phrase de Julie Neveux : « La langue est beaucoup plus mesurée que nous ne savons l’être ! C’est la meilleure arbitre de nos débats : le temps passant, elle ne retiendra, de l’écriture inclusive, que l’essentiel... » [4]. Peut-être même s’éteindra-t-elle parce qu’elle n’aura plus aucune raison d’être, le jour où les femmes seront payées autant que les hommes, où le travail domestique sera considéré à sa juste valeur et où les tâches et la charge mentale seront équitablement partagées. Qui sait…

Merci Gil, d’avoir enrichi ma réflexion en mettant ce sujet ô combien polémique sur le tapis. Ton article est de nouveau en ligne, en écriture inclusive, tel que tu avais décidé de l’écrire.

 

Marine Slove,
Vétérinaire & Éditrice associée

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] Atlas démographique de la profession vétérinaire 2021, [En ligne]. Disponible sur https://www.veterinaire.fr/system/files/files/2021-11/ODV-ATLAS-NATIONAL-2021.pdf [Consulté le : 20-sept-2021] ;

[2] P.C. DHERY (2013), Auxiliaire vétérinaire, du rêve…à la réalité, Imprimerie Déclic Offset, Le Vigan, 143 pages ;

[3] Tribune collective, Une "écriture excluante" qui "s’impose par la propagande" : 32 linguistes listent les défauts de l’écriture inclusive, Marianne, septembre 2020, [En ligne]. Disponible sur https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/une-ecriture-excluante-qui-s-impose-par-la-propagande-32-linguistes-listent-les [Consulté le : 20-sept-2021] ;

[4] A. DEVELEY, Pour ou contre l’écriture inclusive ? Deux linguistes débattent, Le Figaro, mars 2021, [En ligne]. Disponible sur : https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/pour-ou-contre-l-ecriture-inclusive-deux-linguistes-debattent-20210330 [Consulté le : 20-sept-2021] ;

[5] C. JANDAU, Qu’est-ce que l’écriture inclusive et pourquoi pose-t-elle problème ?, Sud-Ouest, Octobre 2017, Disponible sur https://www.sudouest.fr/culture/litterature/qu-est-ce-que-l-ecriture-inclusive-et-pourquoi-pose-t-elle-probleme-2514960.php [Consulté le : 20-sept-2021].

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