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Devenir spécialiste : le but ultime de tout vétérinaire ?

Crédit photo © Studioanna, Anna Camerac
Quand vous interrogez les aspirants vétérinaires de tous bords sur leurs motivations à devenir véto, les réponses fusent : « J’ai toujours voulu faire ça ! », « J’aime les animaux ! », « J’aime l’aspect médical ! » Et si vous creusez un peu, bien souvent, le côté « métier à multiples facettes » représente un argument majeur dans leur choix : « on peut passer dans la même journée d’une chirurgie dentaire à une énigme médicale digne du Dr House. C’est génial ! » Alors pourquoi, très (trop ?) vite, et comment cette polyvalence peut-elle accentuer ce sentiment de n’être jamais assez bon, ce « syndrome de l’imposteur » fréquemment ressenti par nombre d’entre nous ?

Parce que polyvalence signifie « expert en rien ! »

Ce n’est pas moi qui le dis. C’est le résultat d’un savant mélange entre des attentes de compétences toujours plus pointues de la part de nos clients et d’une obligation de moyens entraînant la nécessité de maintenir à jour nos connaissances, et ce, dans tous les domaines de notre exercice professionnel. La médecine vétérinaire est en évolution permanente : nouvelle maladie, nouvelle technique, nouveau médicament, voire nouvelle discipline ! À chaque fois que nous apprenons quelque chose, nous réalisons un peu plus que nous ne sommes pas experts sur le sujet, et devant nous, la vallée de l’humilité semble se prolonger à perte de vue. Vous voyez cette phase, décrite en psychologie par l’effet Dunning-Kruger, où alors que nous pensions naïvement avoir enfin accumulé suffisamment de connaissances sur un sujet pour se prétendre compétents, nous réalisons brutalement qu’en fait, il nous reste beaucoup à apprendre.

« Oui, je fais des échos cardio mais à mon petit niveau, hein ! » Naît alors ce sentiment frustrant, pour bon nombre d’entre nous, que nous ne saurons jamais tout, que seuls les spécialistes sont compétents, légitimes à exceller dans leur domaine. Une question me vient alors : un même individu de l’espèce humaine serait-il capable d’atteindre le niveau « expert » dans tous les domaines couverts par notre profession ? Quand on sait qu’il n’existe pas moins de 23 diplômes délivrés par les différents collèges européens, et que chacun de ces diplômes demande à minima 3 années de formation, il semble assez évident que la réponse est non.

Parce que l’aura des spécialistes peut nous éblouir

Dès les bancs de l’école vétérinaire, les spécialistes nous entourent. On les admire. On les envie parfois. Ce sont eux qui nous distillent ou nous inondent des connaissances que nous devrons assimiler pour atteindre notre but : devenir (enfin !) vétérinaire. Ce sont leurs noms qui défilent sur les articles scientifiques ou sur les programmes des congrès et autres conférences qui jalonnent notre parcours. Et au fil du temps, un constat se profile : les spécialistes, ces experts dans leur domaine de prédilection, sont indispensables à notre profession et à sa perpétuelle progression. Chacun d’entre nous a déjà eu (ou aura un jour) un cas clinique qu’il ne parvient pas à résoudre seul. Par chance, l’appel à un ami est toujours possible ; mais parfois, il s’avère indispensable (et judicieux) de référer à qui de droit. Parfois, malgré nos connaissances et toute notre bonne volonté, nous atteignons nos limites, et dans ces moments-là, on pourrait alors voir poindre ce sentiment désagréable de ne pas suffire. Alors oui, le graal de chaque vétérinaire pourrait être de devenir un jour celui à qui l’on réfère et qui mettra des mots sur les maux des cas complexes. Celui qui participe à l’avancée de notre science. Mais est-ce notre seule option ?

Et pourquoi ne pas vouloir être (et rester) un vétérinaire généraliste complet et compétent ?

Après de longues années d’études vient le temps des premiers choix et des premiers doutes. « Suis-je prêt à aller en clientèle ? », « Ai-je envie de continuer à me former ? » Les questions sont multiples et les réponses variées. Certains vont décider d’aller sur le terrain acquérir cette expérience qui peut nous faire défaut à la sortie de l’école, d’autres vont se lancer d’emblée dans un internat avec l’idée assumée d’enchaîner directement sur une résidence. L’enquête effectuée à ce sujet, par l’équipe de VetFuturs Junior Lyon en 2017, révèle que 60% des étudiants vétérinaires ayant répondu envisagent un internat, que parmi eux, 37% désirent enchaîner avec une résidence et que, à terme, 12,3% des répondants se voient spécialistes (titulaires d’un Board du Collège européen) à l’horizon 2030 [1].

Pour ma part, j’ai comme beaucoup choisi le terrain. Dans différentes cliniques. Au contact de différents confrères (aucun sexisme ici, mais mes premières années de pratique ont fait, indépendamment de toute volonté, la part belle à la gent masculine !) : généralistes ou spécialistes, itinérants ou sédentaires, bienveillants et désireux de partager leurs connaissances, ou mutiques. Chacun m’a appris, jour après jour, à mieux gérer la clinique mais aussi : quand référer ? Comment référer ? Pourquoi référer ? Et même si, bien sûr, je me suis parfois sentie toute petite au regard de l’étendue de leurs connaissances, j’ai réalisé pas à pas que ce rôle de généraliste, avec ses forces et ses faiblesses, était tout aussi indispensable dans la gestion des cas que peut l’être le chirurgien qui va opérer la hernie discale de ce bouledogue, arrivé quelques heures auparavant avec les postérieurs paralysés. Le vétérinaire généraliste, en « bon médecin de famille », est celui qui accompagne l’animal et son ou ses humain(s), tout au long de la vie de son patient, s’appuyant sur des connaissances solides, polyvalentes et sans cesse renouvelées, et en gardant toujours une vision d’ensemble de la situation. Là où le spécialiste va nécessairement focaliser son attention autour de son domaine d’expertise, et c’est ce qu’on attend de lui, le généraliste garde une approche beaucoup plus globale de l’animal.


Et finalement, que nous soyons vétérinaires généralistes ou spécialistes, nos rôles ne restent-ils pas complémentaires, intrinsèquement liés, et tout aussi essentiels dans le paysage de la profession vétérinaire ? A bien y réfléchir, la pratique des spécialistes reposent, en partie du moins, sur les cas référés par leurs consœurs et confrères, généralistes de terrain. Et en contrepartie, les généralistes, constituant la première ligne du système de santé vétérinaire, peuvent compter sur les spécialistes pour pousser les investigations quand ils atteignent leurs limites. Le plus important étant que tous les vétérinaires, qu’ils soient généralistes ou spécialistes, partagent un seul et même but : soigner et aider l’animal et sa famille.

 

Manuelle Hoornaert,
Vétérinaire & Rédactrice en chef

 

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] T. Wauquier, Les attentes des étudiants vétérinaires vis-à-vis de leur avenir professionnel ; Vetfuturs Junior Lyon, [En ligne]. Disponible sur : https://www.campus-management-veterinaire.fr/attentes-etudiants-veterinaires-vetfuturs-junior-lyon/ [Consulté le : 29 mars 2022].

 

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