Notre réalité est basée sur nos filtres personnels. Tout ce que nous percevez et vivons est filtré à travers notre point de vue, à travers une lentille unique, qui dépend de nos expériences, nos croyances, nos émotions, nos enjeux, nos capacités et nos biais cognitifs. Ainsi, deux personnes assistant à la même situation peuvent en tirer des conclusions radicalement différentes. Pourquoi ? Parce que leur interprétation est basée sur des perceptions filtrées par leur point de vue unique et subjectif.
Exemple :
- Une ASV remarque que la vétérinaire n’a pas répondu à son commentaire lors d’une réunion. Elle conclut : " Elle ne s’intéresse pas à mes idées ".
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Une autre ASV présente et observant la scène peut se dire “ cette vétérinaire prend son temps avant de répondre, c’est le signe qu’elle accorde de l’importance à son idée ”.
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De son côté, la vétérinaire, concentrée sur une autre préoccupation, ne se rend même pas compte qu’elle a laissé passer ce moment.
La différence entre la réalité objective (la vétérinaire n’a pas répondu) et l’interprétation subjective (elle ne s’intéresse pas à mes idées) est à la source du malentendu. En comprenant que notre interprétation est biaisée et partielle, nous pouvons prendre du recul et créer de l'espace pour d'autres points de vue. En d’autres termes, ce recul crée l’espace pour la curiosité.
Une question très puissante existe pour sortir de notre subjectivité (quand elle est source de tensions ou d’inconfort) : quelles autres explications possibles y-a-t-il à cette situation ?
Les biais cognitifs et leurs impacts dans les relations professionnelles
Nous sommes tous influencés par des biais cognitifs. Ces mécanismes automatiques du cerveau, bien qu’utiles pour traiter rapidement une information, peuvent nous induire en erreur.
Quelques exemples :
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Le biais de confirmation : Tendance à privilégier les informations qui confirment nos croyances préexistantes.
Exemple : Si une ASV pense qu’un client est en difficulté financière, elle prendra un froncement de sourcil au moment de la présentation de la facture comme une preuve de cette difficulté et risque d’oublier de vérifier s’il y a une autre raison à cette réaction.
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Le biais de négativité : Accorder plus de poids aux expériences négatives qu’aux positives.
Exemple : Une altercation avec une collègue dans la journée peut vous faire dire le soir " décidément je n’arrive pas à travailler avec elle ", omettant ainsi toutes les interactions positives, voire agréables vécues avec elle dans la journée.
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L’attribution causale : Attribuer les comportements d’autrui à des traits de caractère plutôt qu’à des circonstances.
Exemple : " Il est toujours condescendant " au lieu de " Il était stressé aujourd’hui. "
Ces biais contribuent à créer et renforcer des " histoires " internes qui peuvent envenimer les relations si elles ne sont pas conscientisées. Avoir conscience que nous avons des biais est déjà un pas de fait en direction de l’apaisement. En effet, cette conscience nous permet de douter de ce que nous prenons pour la réalité et donc d’ouvrir la possibilité d’une autre réalité, source de tranquillité.
La magie de la phrase : "L’histoire que je me raconte… "
Pour désamorcer les conflits et clarifier les malentendus, il est crucial de prendre du recul sur notre propre perception. Une technique simple mais puissante consiste à verbaliser vos interprétations sous la forme de : " L’histoire que je me raconte, c’est que… "
Cette phrase favorise :
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la neutralité : Vous exprimez vos pensées sans accuser l’autre, ce qui réduit la défensive.
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la curiosité : Vous ouvrez la discussion et invitez l’autre à partager sa perspective.
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l’empathie : Reconnaître que votre version est subjective montre que vous êtes prêt à accueillir celle des autres.
Exemple en pratique (reprenant le premier exemple) :
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Au lieu de dire : " Tu ne t’intéresses pas à mes idées "
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Dites : " L’histoire que je me raconte, c’est que lorsque tu ne réponds pas à mes propositions à ce moment de la réunion, cela veut dire que tu ne t’intéresses pas à mes idées. Et je me dis que je peux me tromper. Serais-tu d’accord de me dire ce qui se passait pour toi à ce moment-là ? "
Pratiquer l’écoute active pour des relations apaisées
Reconnaître la subjectivité de nos interprétations est une première étape. Pour aller plus loin, il est essentiel de développer l’écoute active, une compétence qui ouvre véritablement la porte à une meilleure compréhension mutuelle.
Voici une liste non exhaustive de comportements d’écoute active :
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Écouter sans interrompre. Laisser le temps à l’autre de développer son récit, une manière de lui montrer votre ouverture à sa version des faits
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Reformuler. Cela permet à la fois de vérifier votre compréhension et de permettre à la personne de se sentir vraiment entendue, voire comprise.
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Valider les émotions exprimées. Toutes les émotions sont légitimes, même si elles sont basées sur des interprétations erronées. Une fois présente l'émotion est bien réelle et nécessite d’être légitimée. [Attention, légitimer l’émotion ne signifie pas accepter la réaction émotionnelle. Si une personne est en colère et vous crie dessus, vous pouvez nommer que sa colère est légitime tout en lui disant que vous ne tolérez pas qu’elle vous parle sur ce ton.]
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Poser des questions ouvertes. Que veux-tu dire par je ne m’intéresse pas ? Que se passe-t-il pour toi ? Les questions ouvertes permettent à la personne d’élaborer sa pensée. Contrairement aux questions fermées auxquelles la réponse est simplement oui ou non.
Bien sûr, ces comportements ne vont avoir l’effet escompté que si votre écoute est sincère. Vous avez le droit de ne pas être dans la bonne disposition mentale pour écouter l’autre et chercher à le comprendre. Et c’est précieux pour vous, l’autre doit savoir reconnaître quand vous n’êtes pas suffisamment ouvert à la discussion pour qu’elle soit constructive.
Reconnaître la subjectivité de nos interprétations est une clé pour des interactions apaisées. Cela demande de la pratique, mais les récompenses – un environnement de travail harmonieux, des relations de qualité et une meilleure santé mentale – en valent largement la peine. La prochaine fois qu’un malentendu survient, prenez une pause et demandez-vous : " Quelle est l’histoire que je me raconte ? " Vous pourriez bien découvrir une autre facette de la réalité et ouvrir la porte à une résolution.
Coline Musel
Vétérinaire et co-fondatrice de WonderVet