Anne-Sophie Richard, docteure vétérinaire, CES d’Hématologie et biologie clinique animales
La transfusion sanguine est pratiquée en médecine vétérinaire depuis les années cinquante. Peu onéreuse, et ne nécessitant pas beaucoup de matériel ni de grandes compétences techniques, elle reste néanmoins une pratique risquée, notamment en raison des réactions transfusionnelles graves qu’elle peut engendrer. S’il est essentiel d’en connaître les bases théoriques pour mieux en comprendre les risques (voir fiche Ronéos : Groupes sanguins et compatibilité sanguine chez le chien et le chat), nous allons rassembler ici les aspects pratiques de cet acte médical réalisé finalement assez peu fréquemment.
La décision de transfuser un animal ou non, est toujours précédée par l’évaluation, au cas par cas, du rapport bénéfice/risque de cette procédure. Des critères objectifs permettent d’aider le clinicien dans sa démarche thérapeutique.
La transfusion est notamment indiquée lorsque l’animal présente des signes d’anémie aiguë comme la tachypnée, la tachycardie, un souffle cardiaque ou une pâleur des muqueuses importantes. Un hématocrite inférieur à 15 % (voire inférieure à 20 % lors d’hémorragie aiguë) ainsi qu’un taux d’hémoglobine inférieur à 8 g/dL sont également décisifs.
La transfusion est en revanche à considérer avec davantage de prudence lors d’insuffisance cardiaque (risque de surcharge volumique) ou lors d’anémie hémolytique (les GR du donneur seront eux aussi hémolysés à court ou moyen terme et ne peuvent soulager l’animal que temporairement lors de syndrome anémique suraigu pouvant entraîner la mort).
Le donneur doit avoir entre 2 et 8 ans, être vermifugé et à jour de ses vaccins. Il est important qu’il n’ait jamais été lui-même transfusé pour limiter le risque transfusionnel. Les chats donneurs doivent peser entre 5 et 7 kg et avoir un hématocrite de 35 % tandis que les chiens donneurs pèsent plus de 30 kg avec un hématocrite de 40 %.
La bonne santé du donneur est évaluée à l’aide de tests sanguins généraux : NFS (Ht, Hb, taux de plaquettes), biochimie (urée, créatinine, TP pour diagnostiquer une déshydratation ou une inflammation), dépistage des maladies infectieuses (FelV/FIV, snap Dx).
Si connaître les groupes sanguins du donneur et du receveur est une bonne chose (voir fiche Ronéos : Groupes sanguins et compatibilité sanguine chez le chien et le chat), le test qui permet d'évaluer de manière la plus fiable la compatibilité sanguine entre deux individus à l'instant t est le crossmatch. Basé sur une réaction d'allo-agglutination, le crossmatch permet de détecter la présence d'allo anticorps naturels (chez le chat) ou d'anticorps induits à la suite d’une première transfusion (dans les deux espèces). Le crossmatch majeur, le plus utilisé en pratique, est basé sur le mélange des globules rouges du donneur et du sérum du receveur. Ce test long, fastidieux et nécessitant de nombreux lavages est difficile d'interprétation et était donc uniquement disponible en laboratoire initialement. Désormais des tests fiables et accessibles au chevet du patient existent : sur tube (Laboratoire Rapidvet® ) ou bandelettes (Laboratoire Alvedia®).
Attention à la technique " artisanale " du test d'agglutination sur lame de microscope, l'absence de lavages donnent des résultats équivoques notamment lors d'AHMI ou chez le chat qui a naturellement tendance à créer des rouleaux de globules rouges.
Et que penser de la xénotransfusion qui consiste à transfuser le sang d'une autre espèce ? Plusieurs études ont été conduites sans apporter un réel consensus. Les conséquences sont variables : d'une diminution de la durée de vie des globules rouges à une réaction transfusionnelle entraînant la mort de l'animal transfusé. Si elle n'est pas conseillée, elle peut être envisagée lors de cas extrêmes, avec le consentement éclairé du propriétaire.
Même s'il est conseillé que le donneur choisi soit coopératif, il est possible de tranquilliser, voire d'anesthésier l'animal lors du prélèvement (Protocole butorphanol/ midazolam / alfaxalone à effet ou gabapentine PO chez le chat et protocole butorphanol / dexmédétomidine chez le chien).
L’animal donneur est perfusé lors du don de sang, pendant une heure à partir de la prise de sang (compter deux à trois fois le volume prélevé avec un poche de NaCl 0,9 % ou de RL). La prise de sang est effectuée de préférence à la veine jugulaire dans des conditions d'asepsie optimales.
Il existe des kits de prélèvement chez le chien (poche contenant 63 mL d'anti coagulant Citrate Phosphate Dextrose -CPD- pour 450 mL de sang). La quantité de citrate peut être ajustée en fonction de la quantité de sang prélevée à raison de 1 mL de CPD pour 7 mL de sang prélevé. Chez le chat, en l'absence de kit, la prise de sang peut être réalisée à l'aide d'une aiguille de 18G ou 19G montée sur une seringue de 60 mL dans laquelle aura été injecté manuellement de l'anticoagulant. Le sang prélevé pourra ensuite être transféré dans une poche en plastique vidée de son CPD. Il est aussi possible d'utiliser l'héparine comme anticoagulant (0.5 à 15 UI d'héparine par mL de sang selon les auteurs) mais le sang ne pourra alors pas être conservé plus de 48h. De plus, il est à noter que l'héparine inhibe les facteurs de coagulation et induit une agrégation plaquettaire.
Chez le chat, le volume moyen prélevé est de 40 à 50 mL tandis que chez le chien, il sera l’équivalent de 20 mL par kg. Le sang frais peut ensuite être conservé pendant 28 jours entre 1 et 6 degrés. Attention tout de même, chez le chat puisque le système de prélèvement est ouvert, le sang est plus à risque d’être contaminé.
Le donneur doit être surveillé de manière accrue pendant les quatre heures suivant le prélèvement afin de détecter l’apparition d’éventuels signes d’hypovolémie (faiblesse, froideur des membres, tachycardie…). En cas d’hématome au point de prélèvement, de l’Hémoclar® peut être appliqué.
Il faut ensuite nourrir le donneur avec une alimentation riche en protéines, en fer et vitamine B12. Un nouveau don ne sera possible que six semaines après chez le chat et 2 mois après chez le chien.
L’objectif recherché après une transfusion est l’augmentation de l’hématocrite du receveur jusqu’à un hématocrite idéal de 25 à 35 %. Or, il faut un don de sang d’environ 20 mL/kg du receveur pour obtenir une augmentation de 10 % de l’hématocrite.
Le protocole du SIAMU prévoit une transfusion d’un volume maximum de 20 mL/kg en quatre heures. Lors de la procédure, la perfusion est interrompue. Lors de la première demi-heure, le sang est injecté avec un débit de 1 mL/kg/h jusqu’à atteindre progressivement 5 mL/kg/h. À la fin des quatre heures de transfusion, l’animal est de nouveau perfusé, avec du NaCl 0,9 % et non du RL afin d’éviter la précipitation du calcium avec le citrate contenu dans l’anticoagulant.
La pression artérielle ainsi que les constantes cliniques classiques sont évaluées tout au long de la procédure. Un hématocrite ainsi que le dosage des protéines totales est effectué une heure après la fin de la transfusion.
Les réactions post transfusionnelles peuvent apparaître dès les cinq premières minutes comme être retardées. Elles peuvent être de nature immunitaire (syndrome hémolytique, syndrome fébrile, thrombopénie…) ou non (surcharge volumique, sepsis…). Il a été démontré que l’administration de corticoïdes était inutile dans la prévention de ces réactions. En cas de symptôme évocateur, il est conseillé de ralentir, voire d’arrêter la transfusion et de perfuser l’animal.
L’autrice déclare ne présenter aucun conflit d’intérêt qui pourraient influencer ou biaiser de manière inappropriée le contenu de l'article.
Mise en ligne le : 8 octobre 2024
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