Les trois consœurs qui ont accepté de témoigner, ont souhaité prendre la parole anonymement : par souci de praticité, elles sont ici nommées Charlotte, Justine et Carole.
S’associer sans se soucier
Toutes l’évoquent spontanément : l’association est d’abord une aventure humaine, au même titre qu’un mariage, un engagement professionnel régi juridiquement avec, en guise de vœux réciproques, un pacte d’associés, définissant les modalités de structuration de l’entreprise.
À tout mariage, sa période heureuse, donc. “ Pendant trois ans tout s’est plutôt bien passé, nous avions une bonne complémentarité tant du point de vue de nos compétences que de nos caractères ” se rappelle Charlotte pour qui l’association débute en 2015 avec une consœur de sa promotion.
Après sa deuxième grossesse, Justine décide de passer le cap de l’entreprenariat, accompagnée d’une ancienne co-salariée. Elles créent leur SELARL, son “ 3ème enfant ”, comme aime à le qualifier Justine.
Sans connaître ses deux futur·e·s associé·e·s, Carole intègre de son côté une SCP à la suite d’un déménagement familial. Elle rachète les parts d’un confrère sortant et développe alors son appétence pour la rurale, peu exploitée localement : “ J’ai fait confiance, je me suis lancée sans vraiment me poser de questions sur les modalités de rachat et le versant humain de cette entreprise ”.
Des points de discorde au point de rupture
Quand l’association commence-t-elle à se gâter ? Existe-t-il des signaux d’alerte, des facteurs déclenchants ? À ces questions, toutes décrivent une évolution plutôt insidieuse, des désaccords nourris à la faveur de situations relativement banales - embauches, vacances, congés maladie... “ Les tensions ont débuté à la suite d’un été d’enfer. Mon associée a cumulé un arrêt maladie, ses vacances puis son mariage. Je me suis retrouvée à gérer la clinique seule, épuisée. Tout s’est cristallisé quand, à son retour, elle m'a annoncé sa deuxième grossesse et son intention de lever le pied ” se rappelle Charlotte pour qui un tel déséquilibre a mis le feu aux poudres.
Un sentiment d’inégalité favorable à l’émergence de divergences fortes dont Justine a également fait l’expérience : “ Mon associée s’était accaparée du temps pour gérer la comptabilité, pour aller à la poste, tondre la pelouse, pendant que je gérais les hospitalisations, les urgences. Quand j’ai tenté une approche pour rééquilibrer au mieux nos tâches respectives, je n’ai récolté que des refus ”.
Toutes rapportent alors avoir fait face aux mêmes écueils qu’un couple en perdition : manque de communication, d’empathie, absence de remise en question... “ Nous n’avons pas su nous comprendre. Je couvais un burn-out, elle venait de se marier, nous étions dans deux état d’esprits trop différents " se souvient Charlotte qui admet n’avoir pas eu le recul nécessaire pour gérer cette situation. Désabusée, Carole confesse pour sa part s’être retrouvée dans un cas de figure inextricable : “ Au fil du temps, on s’est rendu compte que notre associé nous considérait comme de jeunes vétérinaires incapables de prendre en charge quoique ce soit. Il n’y avait pas d’objectif commun, quels que soient les sujets, il se posait en chef totipotent. C’était impossible de trouver un accord ”.
Exit confiance, respect, confraternité, autant de valeurs socles, gages d’une association réussie. Alors que la charge émotionnelle s’alourdit, Charlotte, Justine et Carole font face aux reproches, aux désaccords insolvables jusqu’à tendre vers un point de rupture, particulièrement destructeur.
Le red flag de la toxicité
Si Justine peine à évoquer son vécu, c’est qu’elle se souvient encore des “ tourments psychologiques ” qu’elle a dû affronter, la tête haute mais le cœur lourd. Techniques de manipulation émotionnelle, intimidations interposées, l’association prend une tournure qui lui échappe rapidement. “ On pense connaître les gens mais ce n’est pas le cas ” concède-t-elle.
Indivisible du lien humain, une association réussie reposerait-elle avant tout sur le choix de son ou de sa collaborateur·rice ? Mais comment savoir si ce choix est le bon ? Divers articles se sont intéressés à cette question, mettant en avant une méthodologie de compatibilité associative [1]. Basée sur divers outils (entretiens, bilans psychologiques, astrologie, graphologie...), la technique permet aux futur·e·s associé·e·s de réfléchir à leurs similitudes, divergences, valeurs avant de les confronter au regard d’une tierce personne. Infaillible ? Rien n’est moins sûr...
A posteriori Charlotte, Justine et Carole reconnaissent s’être trompées de partenaires, tout simplement. " Le plus douloureux a été de passer d’une relation d'estime réciproque à des violences verbales, du dénigrement. La souffrance a été partagée ”. Une réalité difficile à accepter et dont l’issue se révèle souvent inévitable.
Consommer la rupture
“ Des cliniques comme la vôtre j’en vois beaucoup, votre seule solution est de partir. Vous pouvez rester mais vous me rappellerez dans 5 ans, l’énergie en moins ”. Ce conseil, Carole l’a reçu d’un avocat du SNVEL dont elle sollicite à l’époque l’expertise. Elle tient maintenant à le transmettre : “ Pour se protéger, il faut savoir partir à temps ”.
Car le chemin du changement est long. À l’image d’un divorce, nombreuses sont les étapes avant que la rupture ne soit consommée. “ En vertu du pacte d’associés, nous avons débuté par une médiation via l’Ordre ”, infructueuse pour chacune d'entre elles, suivie de “ discussions par avocats interposés pour engager les négociations d’ordre financières ”.
“ Décision a été prise que je reprenne la clinique. On a décidé que la valorisation serait faite par RESOVET par souci d’impartialité. Mais il leur fallait des informations, notamment sur le stock de médicaments. Là encore, nous n’étions pas d’accord ”. Une “deuxième peine” selon Charlotte et Justine : “ Je voulais racheter ses parts mais elle ne donnait son autorisation pour aucune décision. La procédure a duré plus de dix mois ”.
Difficile de savoir comment faire valoir ses droits dans ces conditions. Sans compter des modalités de rupture d’association, variables selon le type de société et ses statuts. “ J’ai été aidée par cet avocat du SNVEL. Je ne savais pas que je pouvais exercer mon droit de retrait, spécifique aux SCP. Mes associés ne pouvaient pas s’opposer à mon départ. Ils avaient ensuite un temps défini pour racheter mes parts ou trouver une tierce personne ” témoigne Carole qui souligne l’importance de se faire accompagner.
Désassociées, et après ?
Profondément affectées, toutes mesurent l’impact émotionnel, physique, personnel qu’a eu cette épreuve dans leurs vies. Après un burn-out suivi d’une tentative de suicide qu’elle explique en partie par l’effondrement de son environnement professionnel, Charlotte a dû se prioriser. Elle décide finalement de vendre la clinique, pour mieux se reconstruire.
Les reprendra-t-on à se réassocier ? “ Même s’il y a des inconvénients à être seule, je ne sais pas si je serai prête à sauter le pas de nouveau ” assène Justine, soulagée d’avoir réussi à conserver sa clinique, malgré tout. Pour Carole aussi, le rebond a été salutaire : “ Je suis partie avec ma clientèle rurale et je continue mon activité, non loin de là où nous étions installés. Je revis ! ”.
Les parcours de Charlotte, Justine et Carole sont inédits. Ils feront probablement écho à d’autres histoires, passées ou en cours. Ces témoignages sont la preuve que sur les décombres, le soleil refleurit toujours, in fine.
Propos recueillis et mis en forme par Amandine Violé
Vétérinaire
Ressources documentaires et bibliographiques :
[1] Le Point Vétérinaire - Les clés pour bien choisir son associé [En ligne], disponible sur : https://www.lepointveterinaire.fr/actualites/actualites-professionnelles/141016-les-cles-pour-bien-choisir-son-associe.html