« Docteure, ma chienne n’est pas en forme depuis hier. Je peux bloquer un créneau pour elle dans votre planning ? » Cette phrase, quand on l’entend pour la première fois de la bouche d’une ou d’un de nos ASV, nous marque. Avions-nous seulement réfléchi jusque-ici, à ce moment si particulier où notre allié du quotidien, notre collègue de boulot, deviendrait brusquement notre « client » avec ses attentes et ses inquiétudes. S’il semble évident et normal que nous devrions accepter, est-ce vraiment notre seule option ? Comment gérer cette situation inédite pour que nous, vétérinaire, eux, ASV/propriétaire et leurs animaux la vivions le mieux possible ?
Une relation qui bascule
Dès l’instant où l'animal de notre ASV devient notre patient, qu’on le veuille ou non, inévitablement notre relation change. Que l’on soit simples partenaires de travail au quotidien ou même devenus amis au fil du temps, notre relation professionnelle évolue brutalement. Nous ne sommes plus seulement membres d’une même équipe soignante, ensemble devant un cas clinique, mais bien un vétérinaire/soignant qui se retrouve en face d’un client/propriétaire/ASV/collègue de travail. Rien que ça.
Dès la prise en charge de l'animal, nous entrons dans ce triptyque que l’on connaît bien, celui qui unit le patient, son soignant et son propriétaire. Alors bien sûr, un peu comme lorsque nous nous occupons des animaux de nos amis ou de ceux des membres de notre famille, notre relation usuelle ne disparait pas pour autant… ce serait trop simple. Tout se mélange. Au rôle de soutien que l’on peut avoir auprès de nos collègues de travail quand ils traversent une situation difficile, vient s’ajouter notre rôle de vétérinaire, de soignant, de conseiller, et avec lui la responsabilité et la charge émotionnelle qui en découlent. Nous voilà responsable de la santé et du bien-être d'un animal mais aussi du bien-être de notre ASV.
Et le poids de cette responsabilité sur nos épaules peut être plus lourd à porter qu’on ne l’imagine, plus lourd à porter que notre ASV ne l'imagine. Quand on se penche sur un cas, on ne sait pas toujours ce que l’on va découvrir. Si faire un vaccin, soigner une otite ou une plaie peut paraître anodin et ne nous pose généralement aucun problème, qu’en est-il quand la prise de sang révèle une anomalie sévère, quand la chirurgie ne se passe pas comme prévu ou quand le diagnostic posé entraîne un pronostic sombre ? Comment annoncer une mauvaise nouvelle, quand il y en a une, à cette personne que l’on reverra encore et encore et qui plus est dans ce même lieu qui restera marqué par un souvenir commun douloureux ?
Et que dire du sentiment d’isolement que nous pouvons rencontrer, nous vétérinaire, dans ces moments-là ? Quand nous sommes confrontés à des maladies de mauvais pronostic ou à des cas complexes qui nous donnent du fil à retordre, notre premier soutien est bien souvent celui de notre ASV. Mais quand ce dernier est l’humain qui se cache derrière notre patient, nos points de repère disparaissent, du moins en partie. Avec qui échanger alors ce regard complice protecteur et rassurant ? Sur qui s’appuyer, avec qui partager nos doutes notamment dans les équipes vétérinaires de taille réduite ?
Alors, parce qu’il serait illusoire de prétendre le contraire, il nous faut tous accepter que de choisir de demander au vétérinaire avec lequel on travaille de devenir le soignant de ses animaux ou de devenir le vétérinaire des animaux de nos ASV a inévitablement des conséquences qu’il vaut mieux envisager avant de se lancer, non ?
Bien que, quand on y pense, il n’est pas forcément beaucoup plus simple d’être ce collègue vétérinaire non soignant des animaux de nos ASV, celui qui, à distance du cas, sans en maîtriser l’ensemble des tenants et aboutissants, est amené à donner son avis ou à prêter une oreille attentive en respectant le confrère ou la consœur en charge de l'animal et ce, même quand on n’aurait pas forcément géré la situation de la même façon.
J'ai personnellement toujours pris en charge les animaux de mes ASV quand elles me l'ont demandé. Mais je crois pouvoir dire qu’il est raisonnable d'envisager de ne pas le faire, de choisir d'expliquer à notre ASV en quoi cette situation est difficile pour nous et de le réorienter vers un confrère. Parce qu’en dehors de cas particuliers, chaque relation avec nos ASV est unique et mérite d’être préservée. Il semble alors prudent de toujours prendre le temps de peser le pour et le contre avant d’envisager de franchir ce pas…
Une gestion particulière du cas
De prime abord, on a envie de dire non ! Un cas est un cas, et nous devrions gérer celui du compagnon de notre ASV comme n’importe quel autre. Mais est-ce si simple ? Pas si sûr. D’abord, il semble faux de dire que nous abordons chacun de nos cas cliniques exactement de la même façon. Si en médecine vétérinaire, le triptyque animal – soignant – propriétaire est constant, chacun de ses membres est lui différent d’un cas à l’autre. Le tempérament de chacun, les relations qui les unissent, ou encore leur état de stress au moment de la consultation varient et influent le déroulé et l’impact émotionnel de cette dernière. Or, est-on vraiment neutre quand un lien particulier nous unit au propriétaire de l’animal que l’on soigne ? N’y a-t-il pas toujours une empathie et un stress particuliers qui s’invitent dans ces moments-là ?
Le stress, on le sait, peut alors jouer sur nos capacités cognitives de soignant. Et si certains d’entre nous sont capables de sang froid en toutes situations, d’autres pourraient devoir « faire avec ». Alors, je vous rassure tout de suite, pas de quoi nous empêcher de faire notre job de véto correctement (nous avons appris à gérer) mais il est possible que notre jugement de l’ensemble de la situation soit biaisé et rende le cheminement vers le diagnostic plus chaotique. Trouver le « bon dosage » dans la gestion du cas peut alors s’avérer délicat. Jusqu’où aller en termes d’examens complémentaires ? Faut-il référer ? Et tout ça, sans même se pencher sur la question financière…
À cela s’ajoute évidemment la place des connaissances de nos ASV. Leurs connaissances vétérinaires pures bien sûr, mais pas uniquement. Quand on travaille ensemble depuis un certain temps, on se connait bien et nos ASV lisent parfois en nous comme dans un livre ouvert. Que devient alors la gestion du cas quand le propriétaire en face de nous est capable de redouter le diagnostic et peut lire sur notre visage de soignant ce qui est en train de se passer. Exercice d’équilibriste alors que d’avancer pas à pas jusqu’au diagnostic final sans générer d’angoisse inutile ou du moins trop précoce.
Et que dire de la situation quand votre ASV doit tenir ce rôle en même temps que celui de propriétaire ? Quand votre ASV doit, par exemple, effectuer la contention de son propre animal ? Là aussi, il semble nécessaire de prendre le temps d’y réfléchir. Vaut-il mieux confier cette tâche à un autre ASV quand c’est possible ? Pour répondre à cette question, trois points de vue entrent en compte : celui de l'animal qui peut être plus rassuré si son humain prend en charge cette responsabilité ou au contraire qui pourrait alors l’associer à un souvenir désagréable ; celui de votre ASV, qui peut ou pas s'en sentir capable ; et enfin, le nôtre, en tant que véto, qui devons notamment nous poser la question de la sécurité de tous dans une telle situation. Notre ASV sera-t-il aussi efficace que d’habitude alors que l’animal contenu est le sien ?
Beaucoup de questions dont les réponses diffèrent au cas par cas bien entendu mais qui, quoi qu’il en soit, vont impacter le déroulé de la consultation, et ce n’est pas tout !
Tips Vétérinaires
Si vous deviez devenir le vétérinaire traitant des animaux de vos ASV, voici quelques conseils.
- Tout d'abord, sentez-vous libre d'expliquer à votre ASV que vous préfèreriez éviter cette situation mais ne le laissez pas sans solution. Réorientez-le vers un confrère ou une consœur de la structure ou d'une autre structure et expliquez-lui votre choix.
- SI vous devenez le vétérinaire traitant des animaux de vos ASV, posez-vous la question de savoir si vous désirez qu'un autre ASV vous accompagne durant cette consultation ou si vous pensez que votre ASV pourra gérer son rôle d'ASV tout en étant dans la peu du propriétaire.
- Pour les actes délicats, n'hésitez pas à demander à votre ASV de ne pas être présent.
- Pensez à bien communiquer avec votre ASV. Assurez-vous que tout est clair pour lui. De même, pensez à vous enquérir de ses attentes et besoins. Bien entendu, n'éludez pas la question financière.
Une communication adaptée
Devons-nous adapter notre communication quand nous devenons le vétérinaire traitant des animaux de nos ASV ? Alors là, aucun doute, c’est un grand oui.
Si notre relation doit changer et si la bonne gestion du cas dépend de nous, la communication joue indéniablement un rôle essentiel.
Notre interlocuteur, notra ASV, nous connaît et possède de réelles connaissances vétérinaires mais il n'est pas vétérinaire pour autant et il n'est pas dans notre tête. À nous de nous assurer, comme pour n’importe quel autre client, qu'il comprenne l’ensemble des tenants et des aboutissants de la situation de son animal. À nous de le mettre à l’aise pour qu'il ose nous donner toutes les informations dont on pourrait avoir besoin (comme avouer que le dernier vermifuge date de plus d’un an… les cordonniers et leurs assistants sont souvent les plus mal chaussés).
De leur côté, nos ASV doivent pouvoir nous parler. Ils doivent pouvoir nous posez toutes les questions qui leur viennent en tête. Rassurez-les sur le fait que cela ne remettra pas en cause la vision que nous avons d'eux, ni la confiance professionnelle que nous leur portons. Au contraire, cela nous rassurera et nous aidera à mieux les accompagner.
Mais il faut aller plus loin encore. Avant même d’assumer notre rôle de vétérinaire traitant des animaux de nos ASV, sentons-nous libre d’en discuter ensemble. Avons-nous conscience des conséquences possibles de ce choix ? Ont-ils totalement confiance en nous pour soigner leurs animaux ? Cette question mérite qu’on s’y attarde un peu. Pourquoi nous demandent-ils de prendre en charge leurs animaux ? Parce que la structure leur propose des tarifs préférentiels ? Ça compte, c’est évident mais est-ce suffisant ? Quand viendra le temps de prendre des décisions thérapeutiques, est-ce qu'ils nous suivront ? N’y a -t-il aucun (ou quasi aucun) risque de frustration ou de rancœur si les choses ne se terminaient pas bien ?
C’est la crainte que j’ai toujours eu au moment de soigner les animaux de mes ASV. Et si les choses se finissaient mal, pourrions-nous encore travailler sereinement ensemble ? Et sans la réponse à cette question, une chose est sûre, je n’aurais jamais passé le cap !
Alors, quel que soit votre préférence de vétérinaire, de soigner ou pas les animaux de vos ASV, ce qui compte c'est que cela leur convienne et à vous aussi. Il est indispensable que cette décision soit éclairée et consentie par les deux parties afin de préserver une relation professionnelle essentielle à notre quotidien de vétérinaire.
Manuelle Hoornaert,
Vétérinaire & Rédactrice en chef