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Parcours de vétérinaires aidant·e·s - Épisode 2 : Assumer la charge financière du soin

Crédit photo @ Jo Panuwat D - stock.adobe.com
L’aidance est un vaste monde. Y entrer revient à en emprunter les méandres, se perdre dans les rouages d’un système d’aides nébuleux et d’impasses administratives dont seul·e·s les initié·e·s semblent connaître les écueils. Être aidant·e·s et devenir combattant·e·s, voilà peut-être la mutation qu’expérimentent ceux et celles qui plongent dans cet univers, où persévérance et débrouillardise sont de mise.

Pour ce deuxième volet de notre trilogie Parcours de vétérinaires aidant·e·s, nous retrouvons Amélie Kpadé et Maureen Dumoulin. L’une accompagne au quotidien son fils Quentin, diagnostiqué autiste il y a six ans. L’autre a soutenu son compagnon, Fabien, durant trois longues années de combat contre une leucémie aiguë lymphoblastique. Elles ont aujourd’hui accepté d’aborder un sujet aussi épineux que tortueux, celui du coût financier de l’aidance. Car au fardeau mental et émotionnel s’ajoute une charge financière, souvent sous-estimée et pourtant bien réelle. Comment la soutenir ? De quels droits bénéficier ? Qui solliciter ? Un partage aussi instructif que nécessaire.

Le prix de l’aidance

Dès l’annonce, toutes deux doivent faire face à de nouveaux défis. Il s’agit tout d’abord de réorganiser leur vie, libérer du temps dans un quotidien déjà bien rempli puis planifier les rendez-vous médicaux, incompressibles, solliciter d’autres acteurs, aides sociales, aides à domicile, aides scolaires... Des impératifs auxquels elles se retrouvent confrontées seules, précipitées dans un système aussi labyrinthique qu’hermétique : “ La pédopsychiatre nous a donné un papier disant que notre fils était autiste et ensuite plus rien. C’était à nous de nous débrouiller pour trouver comment l’accompagner, qui consulter, comment se faire aide” raconte Amélie.

C’est pourtant toute une équipe pluridisciplinaire qu’Amélie doit composer, pour Quentin. Psychologue, orthophoniste, aide scolaire, psychomotricien, dont elle organise les rendez-vous quotidiens, hebdomadaires, mensuels. Des besoins importants mais essentiels et dont elle prend vite conscience du coût. “ Il faut avoir les moyens financiers de pouvoir faire tout ça ” confesse-t-elle.

Et l’investissement ne s’arrête pas là. “ Je ne compte plus les frais kilométriques que j’ai accumulés à force d’enchaîner les allers-retours à l’hôpital ” se souvient Maureen, alors même que Fabien est hospitalisé à plus de 100 km de chez eux. De frais impondérables en frais insensibles, la note s’alourdit, rondement.

Un revers financier, lit des inégalités de genre

Si l’aidance a un prix, celui du sacrifice s’y dissimule. Combien sont-ils à avoir dû mettre leur carrière entre parenthèse pour embrasser leur nouveau rôle ? Combien de mi-temps thérapeutiques, combien d’arrêts de travail, combien de jours non travaillés cumulés ? Pour honorer les rendez-vous médicaux, assurer les tâches domestiques, consacrer du temps à leurs proches, nombre d’aidant·e·s en viennent à réduire leur temps de travail, quitte à voir leurs ressources diminuer. Un préjudice économique dont les femmes se trouvent les principales concernées, comme le souligne une note de l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes1.

Car parmi les 11 millions d’aidant·e·s que compte la France, 60 % sont des femmes. Un chiffre qui atteint les 74 % dès lors que le schéma de soin devient plus contraignant. La dernière étude de la Direction de la Recherche, des Études, de l’évaluation et des Statistiques (DREES) conclut que, là où les hommes aidants apportent plutôt un soutien d’ordre financier, les femmes portent en grande partie la charge quotidienne du soin2. Perpétuant ainsi l'idée que les femmes sont plus “naturellement” (ou “biologiquement”) tournées vers leur prochain, au risque de devoir renoncer à leur indépendance professionnelle et donc, financière.

Ni Amélie ni Maureen n’ont eu à sacrifier leur métier sur l’autel de l’aidance. Non sans fatigue et au prix d’aménagements constants, elles ont poursuivi leur activité, préservant ainsi leur sécurité financière. Une chance qu’Amélie mesure et qu’elle doit en partie à l’investissement de son compagnon : “ Il s’implique à fond, c’est aussi grâce à lui que je peux continuer à être vétérinaire libérale avec un fils autiste ”. Pour Amélie, la charge de l’aidance est donc partagée, là où la plupart des femmes la portent seules, isolées. " La précarisation est majorée dans le cas des mères à la tête de familles monoparentales, aidantes d’un ou plusieurs proches et qui n’ont pas de relais familial ” souligne ainsi l'association Je t’aide, dédiée depuis 2015 aux droits des aidant·e·s3.

Face à la jungle administrative

Reconnues aidantes, Amélie et Maureen supputent qu’elles doivent pouvoir prétendre à des aides. Mais lesquelles ? Qui solliciter ? “ J’ai eu un rendez-vous avec une assistante sociale pour voir à quels droits nous avions accès mais cela a toujours été très flou ” se rappelle Maureen. Du côté d'Amélie, même discours: " Il faut monter plein de dossiers, être très patient et se préparer au fait que tu ne sais jamais combien tu toucheras. Tout ça est toujours resté très nébuleux ! ”.

Amélie et Maureen finissent toutes deux par solliciter la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH), dont elles reçoivent des allocations, spécifiques à leur situation. Des aides qui leur assurent un soutien financier, toutefois minime par rapport à leurs frais réels : “ Selon les années, nous avons eu entre 150 et 320€/mois. Autant dire que ça couvre pas du tout la totalité des frais (autres que l'orthophoniste et la psychiatre qui sont remboursées à 100 %) ni la perte de revenus liée à mon absence. Mais c'est mieux que rien " résume Amélie.

D’autres aides existent-elles ? Probablement. L’administration française est une jungle, aux ramifications obscures. Sans accompagnement, difficile d’en connaître ses subtilités. Certaines allocations ne sont accessibles que sous conditions strictes, parfois non cumulables. D’autres droits existent, à l’instar du congé de proche aidant qui permet à tout salarié de cesser temporairement son activité. Les professions indépendantes ne peuvent toutefois y prétendre, preuve des restrictions qui s’appliquent. Une réalité dont Amélie et son conjoint ont vite mesuré les conséquences : “ Mon mari était freelance, moi libérale. Notre situation ne nous donnait droit à rien. Mon mari a choisi de devenir salarié en partie pour Quentin afin qu’un de nous puisse bénéficier de ces avantages-là ”.

Maureen a pour sa part, bénéficié d’un congé d’accompagnement de fin de vie (renommé congé de solidarité familiale) quand Fabien s’en est allé. Du reste, elle se souvient “ n’avoir jamais vraiment su à quoi prétendre ”, comme un aveu d’une résignation passée. Une question reste alors en suspens : comment continuer à améliorer et faciliter l’accompagnement des aidant·e·s dans ce parcours sinueux ?


Dans le troisième et dernier volet de notre trilogie, nous parlerons du poids émotionnel de l’aidance. Il sera question de résilience, d’oubli, de trop-plein, de persévérance et par-dessus tout, de puissance, celle de l’amour...

 

Propos recueillis et mis en forme par Amandine Violé 
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] Le coût de l’aidance, une note [En ligne] disponible sur : https://fondationdesfemmes.org/actualites/le-cout-de-laidance-peut-on-aider-sans-compter/[Consulté le 4 octobre 2024] ;

[2] Thomas Blavet (DREES, Institut des politiques publiques, Paris School of Economics) 9,3 millions de personnes déclarent apporter une aide régulière à un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie en 2021 (2023, janvier) ;

[3] Comprendre l’impact des inégalités de genre sur l’aidance,  [En ligne] disponible sur : https://associationjetaide.org/2023/03/06/comprendre-limpact-des-inegalites-de-genre-sur-laidance/[Consulté le 4 octobre 2024].

 

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