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L’alignement du métier de vétérinaire praticien avec ses valeurs personnelles : un éternel décalage ?

Crédit photo @ Parradee - stock.adobe.com
Lorsque l’on intègre une école vétérinaire, on a généralement une image bien construite de ce que l’on veut et des valeurs que nous souhaitons défendre au quotidien. Mais une fois dans la vie active, et même parfois déjà pendant le cursus étudiant, on se rend compte que la réalité est bien différente de ce que l’on avait imaginé. La notion d’alignement avec ses valeurs personnelles dans le métier de vétérinaire est un sujet peu abordé, que ce soit au sein des écoles ou ensuite en clinique. C’est pourtant un facteur de motivation (ou de démotivation) important et peut-être un paramètre à prendre en compte dès l’entretien d’embauche. Le métier de vétérinaire est très souvent une vocation (pour 80 % d’entre nous, le choix était fait avant l’âge de 12 ans [1]) et le fait d’attendre autre chose qu’un salaire de son métier peut créer des situations complexes. Les jeunes praticiens semblent particulièrement exigeants envers leur travail, au point d’être parfois surnommés la génération « dreamer » [2]. Cela montre que l’alignement des valeurs professionnelles et personnelles prend actuellement de plus en plus d’importance. Valeurs morales, sociales, engagement professionnel, écologie, bien-être animal, nous allons parcourir nombres de ces valeurs qui peuvent être à l’origine d’un sentiment de décalage entre son propre système de valeur et ses activités professionnelles. Le décalage entre nos attentes et la réalité de terrain pourrait-il être un facteur expliquant le désintéressement de la profession ? Des solutions existent-elles pour trouver sa place ?

Les valeurs morales

Parmi celles partagées par de nombreux vétérinaires, on peut trouver l’honnêteté, le respect et la confraternité. Mais dans la pratique, la désillusion peut être forte si l’on est, par exemple, critiqué par un confrère, qu’il soit collègue ou voisin de clientèle. Dans le premier cas, selon notre tempérament, cela peut soit créer une ambiance explosive à la clinique, soit atteindre notre confiance en soi. Dans le cas des voisins de clientèle, pas toujours bienveillants, parfois pour raisons économiques, cela peut amener à l’absence d’une entraide qui serait pourtant la bienvenue.

Concernant l’honnêteté, on se rend vite compte qu’elle n’est pas toujours au rendez-vous... Les gens peuvent mentir ! Le propriétaire qui nous présente son chien avec une tumeur gigantesque en jurant que c’est apparu en une nuit. L’appel d’urgence pour l’animal mourant qui arrive tout pimpant... Les exemples sont nombreux ! On ne changera pas les propriétaires, mais heureusement la plupart sont honnêtes, les menteurs, ou tout simplement ceux qui n'osent pas nous dire la vérité, font partie d’une minorité qui a néanmoins tendance à prendre beaucoup de place dans notre tête.

Cette problématique autour des valeurs morales, n’est pas spécifique à notre profession, car cela peut se retrouver dans n’importe quel corps de métier. Heureusement, des solutions existent. Une bonne communication, notamment grâce à des formations d’équipe, permet d’améliorer le quotidien au travail. Entretenir de bonnes relations avec ses voisins de clientèle permet l’entraide et le soutien. Actuellement, la tendance est plutôt à la pénurie de vétérinaires donc pas d’inquiétude, il y a des patients à soigner pour tout le monde !

Les valeurs sociales

Parmi elles : l’empathie, le partage et la générosité. Les cliniques vétérinaires sont des entreprises. L’écart peut être grand entre notre envie de soigner tous les animaux et la réalité économique du métier. Par exemple, devoir pratiquer une euthanasie pour raisons financières alors que l’animal pourrait être sauvé va bien à l’encontre des valeurs de nombreux vétérinaires. La conjoncture tend malheureusement à réduire le budget alloué aux soins des animaux de compagnie pour les foyers les plus modestes. Le développement d’organismes d’aide, comme « vétérinaires pour tous » ou les dispensaires vétérinaires [3] apportent un début de solution à cette problématique en permettant aux personnes précaires d’avoir accès aux soins pour leur animal de compagnie rendant le vétérinaire moins démuni. Pour en savoir plus sur ce sujet, je vous conseille l’interview du Dr vétérinaire Théo Noguer dans l’épisode #21 du podcast véto micro [3].

Le partage est une valeur forte de la profession, notamment via la transmission du savoir entre vétérinaires. Le système de mentorat, qui a été mis en avant récemment par la plateforme “Louveto”, permet de mettre en relation les praticiens pour de belles aventures professionnelles, mais avant tout humaines.

L'engagement professionnel

Le perfectionnisme semble être un trait de caractère commun à de nombreux vétérinaires. En plus de cela, il s’agit d’un métier passion. Mais quel est le revers de la médaille d’attendre plus de son métier qu’un salaire ? On peut se jeter à corps perdu dans le travail, quitte à s’y perdre.

37 % des vétérinaires sont « workaholic », c’est à dire accro au travail, et cela peut avoir des répercussions non négligeables sur la vie privée [1]. Rentrer tard, louper le bisou du soir ou le repas de famille… Cela peut créer un sentiment de culpabilité.

Il est souvent difficile de laisser son costume de vétérinaire à la clinique. On passe alors nos soirées, parfois nos nuits, à ressasser nos cas et nous ne sommes donc pas complètement disponibles pour nos proches et nos loisirs. C’est un aspect du métier auquel on ne pense pas forcément en commençant l’école. Car l’air de rien ce métier prend une place énorme dans nos vies.

L’équilibre vie professionnelle / vie personnelle semble pourtant être au cœur des préoccupations des praticiens [1]. C’est un véritable challenge pour ce métier où une grande disponibilité est nécessaire notamment dans le cadre de la permanence de continuité de soin. Cela peut engendrer de l’angoisse, voir un stress chronique.

Pour aider à relativiser et à ne pas culpabiliser, il existe de nombreuses possibilités d’accompagnement : l’association veto-entraide, qui offre une plateforme d’écoute, les groupes Facebook, les médecines complémentaires, la pratique d’une activité sportive ou artistique. Notre engagement professionnel est une belle valeur, mais elle ne doit pas porter préjudice à notre bien-être et à notre épanouissement.

L'écologie

Le métier de vétérinaire et les idéologies écologiques ne font pas toujours bon ménage. Avoir un mode de vie à faible impact à la maison et voir la quantité importante de déchets produits et les pollutions générées par la pratique peuvent créer un réel décalage. Un questionnement sur le sens de notre métier peut alors apparaître. En effet, entre l’utilisation des antibiotiques et des antiparasitaires qui ont un impact environnemental démontré, les nombreux objets à usage unique, les désinfectants, il y a de quoi se poser des questions. À l’heure actuelle, nous avons de plus en plus de ressources pour améliorer petit à petit notre impact, mais il semble y avoir des déchets inévitables, notamment au niveau des consommables.

Pour les vétérinaires allant à domicile, la recherche d’un véhicule à faible émission permettant de faire de longues tournées peut être un véritable casse-tête. L’optimisation des trajets pour effectuer le moins de kilomètres possible est souvent mise en place, mais une urgence peut toujours chambouler cette organisation.

L’association « Eco Véto » œuvre au quotidien pour récolter et transmettre des données aux vétérinaires afin de leur permettre d’envisager une clinique plus respectueuse de l’environnement.

Le bien-être animal

La notion de bien-être animal est au cœur de l’actualité et des préoccupations. Cependant, il y a parfois un décalage entre le rapport à l’animal des propriétaires et celui du vétérinaire. Les cas de négligence, ou même carrément de maltraitance, sont nombreux et peuvent faire naître un sentiment d’injustice, voire de la colère. Nous voyons ce que beaucoup ignorent : animaux affamés, apeurés ou souffrant d’un manque cruel de soins. Le travail main dans la main avec les organismes de protection animale permet de nous rendre acteur et non spectateur dans le domaine du bien-être animal. Certes nous sommes confrontés malgré nous à la maltraitance, mais si nous la dénonçons, nous avons un grand rôle à jouer dans ce domaine.

L’inverse peut également être observé : des animaux trop « gâtés », qui nous sont amenés au moindre bobo. Des propriétaires trop « aux petits soins » peuvent engendrer un stress chez leur animal et lui apporter son lot de problème de santé. Le juste milieu entre négligence et psychose est heureusement ce que l'on rencontre le plus au quotidien. Les animaux de compagnie et les équidés sont de plus en plus médicalisés avec beaucoup de soins de prévention.


De nombreuses valeurs animent les vétérinaires, mais l’inadéquation avec la réalité du terrain peut créer un découragement sans forcément détourner de la pratique. De nombreuses solutions existent, à nous de trouver l’environnement de travail en accord avec nos valeurs et surtout d’exprimer nos besoins et nos attentes. Comme l’a très justement dit Marc Aurèle, philosophe romain : « que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. » Le métier de vétérinaire est en constante évolution. Au vu des nombreuses actions réalisées, un avenir ensoleillé semble se profiler pour notre belle profession.

 

Mélissa Dastroy,
Vétérinaire

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] Vet futur France, le livre blanc, édition 09 / 2020, [En ligne]. Disponible sur : http://vetfutursfrance.fr/wp-content/uploads/2021/11/VFF_LivreBlanc_TOTAL_VWeb_BDef-1.pdf [Consulté le 06 décembre 2022] ;

[2] A.Taylor, Valeurs perso, quête de sens… En attendons-nous trop de notre entreprise ?, welcome to the jungle, 31.10.22, [En ligne]. Disponible sur https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/valeurs-sens-travail-entreprise [Consulté le 03 décembre 2022] ;

[3] Vet'o micro Épisode #21 - Théo Noguer - Vétérinaire de rue [Consulté le 11 janvier 2023] ;

[4] N. Léon, « Les valeurs de ma boîte ne me correspondent plus » Que faire ?, welcome to the jungle, 05.03.19, [En ligne]. Disponible sur https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/accord-valeurs-personnelles-entreprise, [Consulté le 06 décembre 2022].

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