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Notre vision de la pratique véto est-elle génération-dépendante ? Regards croisés...

Crédit photo © Studioanna, Anna Camerac

Bien que la collaboration et la transmission entre jeunes et moins jeunes soient depuis toujours des valeurs intrinsèques au milieu vétérinaire, l’évolution fulgurante de la société ces dernières années, que ce soit sur le plan technologique, sociétal mais aussi économique, peut aujourd’hui contribuer à créer dans les structures vétérinaires un véritable fossé entre les différentes générations.


Ces fameuses générations des baby-boomers, aux « gen » X, Y, Z (et bientôt alpha), définies grossièrement par leur tranche d’âge, sont en réalité des communautés de personnes marquées par les mêmes événements historiques et phénomènes culturels à des moments clés de leur développement personnel. Elles développent alors des attitudes, des valeurs et des traits de personnalité semblables [1].

Amenées à travailler ensemble au quotidien, une bonne entente et la compréhension du mode de fonctionnement de chacune de ces générations paraissent alors essentielles. Mais sont-elles si différentes dans leur manière d’aborder leur pratique professionnelle et de construire leur avenir ?

Jean-François (JF), quadragénaire de la génération X et Adrien (A), tout juste trentenaire de la génération Y vont nous livrer leur vision de la pratique vétérinaire. Entrés dans la vie active depuis quelques années, ils ont, à la fois, un certain recul dû à leur expérience mais surtout l’avenir devant eux et l’énergie nécessaire pour le façonner à leur image.

 

Focus sur les différentes générations

En 1989, Devriese décrit les générations comme « une notion à géométrie variable, appréhendée comme une communauté d’expériences d’un groupe d’individus artificiellement saisi dans le temps » [2]. Voici, résumées en quelques mots, les caractéristiques des différentes générations actuellement présentes sur le marché du travail vétérinaire [2] [3].

Les baby-boomers : nés entre 1946 et 1964, ils ont bénéficié du plein emploi et croient donc en la réussite sociale. Ils sont loyaux envers l’entreprise et la hiérarchie tout en prônant l’autonomie.

La génération X : née entre 1965 et 1980, cette génération a été entre autres marquée par la crise économique et le choc technologique. Cette génération, avec une vision classique de l’entreprise, est fidèle et a le goût de l’effort. Elle attend cependant que cette implication soit reconnue à sa juste valeur.

La génération Y ou Millenials : née entre 1981 et 2000 sous le signe de la mondialisation et du progrès, la génération Y est optimiste et confiante. Elle souhaite travailler moins mais mieux et la notion de mobilité est essentielle à leur équilibre.

La générations Z : née à partir de l’an 2000 à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, les gen Z sont de fervents partisans de l’innovation et de la collaboration. Ils sont également marqués par les crises économique, environnementale et sanitaire et ressentent une certaine insécurité et incertitude en l’avenir. La quête de sens au travail est également un de leur leitmotiv.

Posons le décor !

Depuis combien de temps exerces-tu ? Dans combien de structures as-tu déjà travaillé ?

JF J’exerce depuis 19 ans et j’ai eu l’occasion de travailler dans quatre structures différentes.

A Je travaille dans la même clinique depuis ma sortie d’école il y a presque quatre ans (juin 2019). Avant cela, j’avais eu un poste de vétérinaire remplaçant dans deux autres structures (un cabinet et une clinique).

Quel type d'exercice (canin, rural…) ? En ville ou en campagne ? Dans une petite ou grande structure ? Au sein d’un groupe de cliniques? Es-tu salarié, collaborateur libéral ou associé ?  En temps plein ou temps partiel ?

JF Je suis vétérinaire mixte exerçant en milieu rural. Je suis associé dans une clinique indépendante de cinq vétos et j’y travaille à temps plein. Je considère notre structure plutôt petite pour les critères d’aujourd’hui.

A Mon activité est 100% canine, en ville. Je suis salarié à temps plein dans une structure d’une dizaine de vétérinaires canins, et qui fait partie d’un groupe international de cliniques.

Qu'est-ce qu’un bon vétérinaire selon toi ?

JF Tout dépend de quel point de vue on se place (de mon point de vue ou du point de vue de la clientèle). Pour moi, un bon vétérinaire est avant tout quelqu’un de curieux, d’impliqué, qui est toujours en train de réfléchir, de se remettre en question et de découvrir des choses. C’est une attitude chronophage et énergivore mais c’est la richesse de ce métier.

A Un bon vétérinaire est pour moi une personne qui ne perd pas de vue le fait que nous sommes là pour soulager et soigner les patients et aider leurs maîtres, quels qu’ils soient.

La pratique au quotidien

Le coeur du métier

Est-ce que ton quotidien est fidèle à tes attentes initiales ?

JF Je dirais que oui parce que j’ai toujours été conscient des réjouissances comme des contraintes de ce métier. En revanche, il y a certains choses que je supporte de moins en moins bien avec les années. Malgré l’expérience et de facto une certaine amélioration, se sentir bon dans ce que l’on fait est difficile. Les domaines de compétence s’élargissent et la clientèle est de plus en plus exigeante donc la quiétude du travail accompli est rarement atteinte.

A Pas vraiment : je m’attendais certes à devoir travailler dur, avec des journées bien remplies, des soirées ou week-ends écourtés, mais pas à si peu de reconnaissance à la fois des maitres, mais surtout des gestionnaires. Ils semblent parfois considérer que les jeunes diplômés devraient leur être redevables de les avoir acceptés (alors que le marché du travail vétérinaire s’est plutôt inversé sur ce sujet), ou de les avoir augmenté de quelques pourcents en comparaison avec le salaire ridiculement bas de notre convention collective…

Quel est ton rapport à la clientèle ?

JF Pour moi, c’est le nœud du problème aujourd’hui. Jusqu’à récemment, je gérais plutôt bien la communication et la relation avec les clients mais je trouve qu’avec les années, les gens sont plus demandeurs et manquent de recul. Même en rural ! J’ai beaucoup de mal à me sentir aligné avec leurs inquiétudes et leurs attentes et aujourd’hui, ce décalage me pèse bien plus que la charge de travail ou les gardes.

A La gestion des propriétaires est la partie la plus difficile de notre métier à mon sens. C’est ce qui me demande le plus d’énergie tout au long de la journée. Il peut me suffire malheureusement de croiser une personne particulièrement désagréable au milieu de dix autres rendez-vous quotidiens pour me pourrir le moral pour la journée… Néanmoins, la reconnaissance des propriétaires sympas reste une source de motivation majeure.

Il y a quelques semaines, Le Monde titrait un de ses articles comme suit : « Le chat est-il un humain comme les autres ? », ça te choque ? Comment définirais-tu la place de l’animal dans la société actuelle ?

JF C’est clairement ça ! L’animal de compagnie est un véritable membre de la famille et est celui qui de surcroît pose le moins de problème, ne demande aucun compte, est toujours d’accord et donne beaucoup en retour (notamment parce qu’on lui prête aussi beaucoup d’intentions). La relation est gratifiante, valorisante et n’engendre que peu de remise en question.

Ce besoin d’amour et de lien que beaucoup de personnes vont chercher chez leurs animaux, et moins dans leur famille, avec leurs amis ou voisins, est à la fois compréhensible mais aussi, je pense, le témoin d’un déséquilibre de la société. Personnellement, je me considère, en tant que vétérinaire, comme un garde-fou de cette mouvance. Je suis loin d’être toujours consensuel et si ma vision des choses ne plaît pas sur le moment, j’espère qu’il en reste quelques bribes dans l’oreille du propriétaire à la fin de la consultation.

A Pas le moins du monde ! Les animaux domestiques sont rentrés dans les foyers de façon spectaculaire depuis plusieurs décennies, et c’est logique (et rassurant) qu’ils soient maintenant considérés par de très nombreuses personnes comme des membres à part entière de leur famille. Alors le titre est peut-être provocateur, mais c’est bien trouvé par la/le journaliste.

Concernant les animaux d’élevage, notre société a tendance à enfin les reconnaître en tant qu’individu sensible (et polluant accessoirement), et à changer ses habitudes alimentaires notamment. Nos éleveurs l’ont bien compris et y sont très sensibles. Mais encore beaucoup de chemin reste à parcourir pour améliorer le bien-être animal dans nos filières de production, en particulier porcines et aviaires.

Le capital social

Quel est ton rapport à la hiérarchie ? Est-ce important pour toi d’être dans une structure gérée exclusivement par des vétérinaires (en opposition à certains directeurs de clinique, managers, personnels RH pas forcément vétérinaires de formation comme dans les grands groupes) ?

JF J’ai personnellement beaucoup de mal avec la hiérarchie mais c’est surtout une question de caractère je pense. Nous sommes une clinique indépendante mais j’aurais beaucoup de difficultés à être dirigé par des « non vétérinaires », et ce surtout parce que leur logique repose en priorité sur la rentabilité. Or, c’est une dynamique qui peut parfois te couper les jambes.

A Les rapports avec mes patrons ont toujours été très bons, contrairement à beaucoup de mes amis praticiens qui ont pu côtoyer des supérieurs très désagréables ou malhonnêtes. Je ne vois pas de soucis à déléguer la gestion des structures vétérinaires à des « non-vétérinaires », car nombre de vétérinaires n’ont ni l’envie, ni le temps, ni les compétences requises pour assurer cette gestion ! Après, peu importe que ce soit un vétérinaire non-praticien, mais spécifiquement dédié au management, ou un ASV, un RH, etc. du moment que le travail est bien fait. Nous sommes certes davantage formés à ce sujet que nos aînés, mais c’est une facette du métier très délicate, et pour laquelle je n’ai aucune attirance.

Comment décrirais-tu tes confrères et consœurs idéaux ?

JF Ce seraient des collègues qui sauraient garder leur place et ne jugeraient pas. J’accorde également beaucoup d’importance à l’échange que ce soit professionnel ou extra-professionnel.

A Une personne pédagogue, empathique, patiente, motivée, rigoureuse, honnête et sensible.

Quels sont pour toi les avantages et les inconvénients d'une équipe multigénérationnelle ?

JF Pour moi il n’y a que des avantages ! Cela permet de s’ouvrir à d’autres façons de penser et à ne pas s’enfermer dans des schémas abrutissants. Il n’y a aucun différend ou aucune incompréhension autour desquels un consensus ne peut être trouvé.

A L’avantage principal est que chaque génération puisse apporter son expertise à l’autre pour tirer les pratiques de chacun vers le haut (l’expérience des aînés et les évolutions des novices).

Une équipe multigénérationnelle n’a pas spécialement d’inconvénient dès lors que chacun joue le jeu ! Evidemment si on caricature avec le patron historique adepte convaincu du « cortibio » longue action pour la moindre « chatite », versus le novice qui va appliquer à la lettre tout son cours au point de tomber dans l’excès de zèle, c’est certain que cela peut bloquer !

Environnement de travail

Classe par ordre d'importance décroissant les essentiels d'une clinique attractive : 

Est-ce que l'équilibre vie professionnelle / vie personnelle est un enjeu pour toi ? Si oui, quelles en sont les bases ?

JF Oui, c’est un vrai enjeu. J’ai accepté que, si on est loin de la quantité, je devais m’accorder et accorder à mes proches des moments de qualité. J’essaye de mettre en place des garde-fous, de m’imposer des activités cycliques auxquelles je ne dois pas déroger pour mon équilibre. Cela peut être courir une fois par semaine avec ma femme, faire des sorties entre amis deux fois par mois, partir en weekend prolongé deux fois par an, etc. Si j’arrive à respecter mes objectifs, j’ai la sensation d’arriver à créer un certain équilibre entre ma vie pro et ma vie perso. Mais bien sûr, ça m’arrive souvent de dériver…

A C’est un enjeu majeur, particulièrement depuis que je suis parent. Je compte absolument me libérer suffisamment de temps pour ma famille, que cela soit le soir pour récupérer un enfant, ou pour s’en occuper les samedis. La gestion du planning de travail est alors primordiale pour trouver l’équilibre.

Quels sont pour toi les marqueurs de reconnaissance et de valorisation de ton travail ?

JF Malheureusement et malgré tous mes efforts, je n’arrive pas à me défaire de la satisfaction du client. J’accorde également beaucoup d’importance à conserver une bonne ambiance à la clinique et je pense que faire du bon travail et gagner l’estime de mes collègues en est une des clés. Enfin mon épanouissement intellectuel est le troisième pilier de la valorisation de mon travail à mes yeux.

A La moindre des choses reste d’être honnête avec ses employés et de les féliciter quand ils font du bon travail. On a tendance à minimiser la reconnaissance du travail bien fait et à toujours accentuer ou pointer du doigts nos lacunes et erreurs. Assurer une bonne prise en charge de ses patients s’accompagne toujours à long terme de plannings bien remplis mais verbaliser le positif est important.

Evidemment, si le salaire n’est pas correct proportionnellement à notre expertise, nos études, nos qualités humaines et notre investissement, je trouve que ce n’est pas juste. Aujourd’hui, je considère qu’être payé 2500 euros net par mois pour 4 jours par semaine en forfait jour (soit environ 170 jours par an) avec 4 ans d’expérience reste ridiculement bas, même si on me rabâche que c’est la crise et que les salaires sont gelés pour tout le monde…

Quel futur ?

Personnellement, quelles sont tes envies d'évolution dans ta carrière (formations, mobilité, changement d'activité, ...) ?

JF A vrai dire, je vise surtout l’équilibre. Je n’ai pas de perspectives de développement dans un domaine ou un autre. J’ai envie de continuer à apprendre dans tous les domaines.

A Je réalise des formations complémentaires, et je suis en liste d’attente pour passer un DE.

Si mon travail n’est pas davantage valorisé à court terme, comme nous en avons parlé précédemment, évidemment qu’il va falloir songer à aller voir ailleurs.

Quels sont, selon toi, les enjeux du futur de la profession ?

JF Un des enjeux majeurs de demain sera sans nul doute arriver à gérer les exigences des clients. Avec le développement de l’intelligence artificielle, les propriétaires auront de plus en plus de moyens de nous challenger et devoir constamment nous justifier va devenir de plus en plus stressant.

En rurale, un défi de taille sera une meilleure gestion des antibiotiques et des antiparasitaires pour éviter l’apparition de résistances. Je suis d’ailleurs surpris que les autorités compétentes ne soient pas plus dures avec nous…

A Nous devons absolument revaloriser nos actes, d’une part pour dégager plus de marge et accepter de payer davantage tous les vétérinaires (et pas seulement les associés ou gérants), et d’autre part pour valoriser notre expertise plutôt que de passer pour des vendeurs de croquettes ou de médicaments. D’autant qu’avec la concurrence du marché en ligne nous passons pour des escrocs ou des suppôts de la Big Pharma. En toute logique, cela devrait s’accompagner d’une perte de la délivrance des médicaments pour les vétérinaires canins.

La reprise des cliniques par les grands groupes reste très problématique, car les possibilités de s’associer dans des structures existantes ont très fortement diminué, alors que les investissements pour créer sa clinique ne font qu’augmenter en parallèle.

Pour finir, est-ce que tu aimerais voir tes enfants devenir vétérinaire ? Pourquoi ?

JF Oui ! C’est un métier qui offre une vraie diversité dans le quotidien, loin des écrans, ce qui n’est pas si fréquent de nos jours. Il permet aussi un vrai épanouissement intellectuel, et ce dans beaucoup de domaines différents. Et puis le but est assez noble : apporter du bien-être à autrui.

A Certainement pas ! Ce sont trop de contraintes, trop d’investissements personnels, pour une reconnaissance trop faible et des difficultés de vie de famille trop importantes pour que je puisse leur souhaiter la même chose !


Ces deux témoignages, aussi personnels qu’ancrés dans une pluralité, nous illustrent que même si la forme et l’ordre des priorités diffèrent parfois, les différentes générations sont unies par un même socle. Mues par le même besoin de reconnaissance, elles ont à cœur de travailler dans un climat de confiance avec les propriétaires, de trouver un équilibre personnel et de préserver la valeur de la profession.

Cela nous rappelle à quel point il est important, malgré les différences, de ne pas cloisonner ou même stigmatiser les différentes générations et de tirer profit des atouts de chacune.

 

Un grand merci à Jean-François et Adrien pour leur analyse, leur honnêteté et leur générosité !

 

Propos recueillis par Anne-Sophie Richard
Vétérinaire 

 

Ressources documentaires et bibliographiques :

[1] T. Saba. Les valeurs des générations au travail : les introuvables différences. Gérontologie et société 2017/2 (vol.39/n°153), pages 27 à 41, [En ligne]. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2017-2-page-27.htm?contenu=article [Consulté le : 9 mai 2023]

[2] C. Dejoux, H. Wechtler. Diversité générationnelle : implications, principes et outils de management. Management et avenir 2011/3 (vol.43), pages 227 à 238, [En ligne]. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2011-3-page-227.htm [Consulté le : 9 mai 2023]

[3] Pôle emploi. Millenials, Gen Z, Gen X… découvrez les attentes de vos jeunes collaborateurs, [En ligne]. Disponible sur : https://www.pole-emploi.fr/employeur/des-conseils-pour-gerer-vos-ress/generations-x-y-z--un-rapport-au.html [Consulté le : 9 mai 2023]

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