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De la vocation à la désillusion ?

Crédit photo @ Thanthara - stock.adobe.com
La désillusion sommeillerait-elle en chacun de nous ? À un stade plus ou moins profond selon les individus ? On peut légitimement se poser la question au vu du mal-être ressenti par plusieurs d’entre nous et du nombre de reconversions précoces au sein de notre profession, pourtant vocationnelle. Alors, si l’amour dure 3 ans, combien de temps survit notre vocation ?  

L’intégration dans le monde du travail suscite immanquablement des questions et a fortiori chez les vétérinaires. Pour essayer de mieux cerner les préoccupations auxquelles se heurtent les jeunes vétérinaires, nous avons interrogé Floriane, une consœur sortie de l’école en 2022, qui a accepté de nous livrer ses impressions sur ses premiers mois de pratique. Entre bonnes surprises et désillusions, elle raconte.

Après 5 années passées au sein de l’école nationale vétérinaire d'Alfort (EnvA), Floriane a choisit de prolonger sa formation par un clinicat privé avant d’intégrer un groupement de cliniques en région parisienne, où elle pratique depuis quelques mois maintenant. Son témoignage apporte un éclairage direct sur les problématiques rencontrées par les jeunes diplômés et nous donne matière à réflexion. Comme beaucoup d’étudiants, elle avait rêvé son futur de vétérinaire, pourtant elle fait face aujourd’hui à une réalité plus contrastée. Pertinence des programmes scolaires, spécialisation, rapport à l’argent… des questions que l’on sait récurrentes chez une grande partie de la génération Z. Alors que faire ? Ces questionnements individuels devraient-ils provoquer une introspection collective ?  

Faut-il repenser le cursus vétérinaire ?  

Le regard que porte Floriane sur ses années d’études est mitigé. L’impression qui domine est celle d'un manque d'optimisation de ce temps pourtant précieux, comme s’il y avait un décalage entre les connaissances théoriques acquises et leur mise en pratique sur le terrain. Elle explique qu’elle a le sentiment de ne mobiliser qu'une partie de l'enseignement reçu, l’équivalent de 3 années d’études peut-être et que malgré les 5 années passées à l’école, elle ne se sentait pas prête au moment de se lancer en autonomie. Comment expliquer ce sentiment, que nous avons tous ressenti au moins une fois, que le contenu de notre formation ne répond pas aux besoins du jeune praticien qui démarre ? 

Bien sûr, cela pourrait paraître tentant de condenser les apprentissages théoriques pour faire la part belle à la pratique, ou même (comme certains l’avaient proposé) de créer des filières différenciées en fonction des espèces traitées. Mais ne nous y trompons pas, malgré un cursus très pratique en Italie, par exemple, les études durent aussi 5 ans ! Et notre bagage initial pluri-disciplinaires et multi-espèces est une vraie force car il nous permet, tout au long de notre carrière professionnelle, de pouvoir nous diversifier ou de nous réinventer à loisir. Eh oui, même la botanique peut nous ouvrir des portes ! Cependant la réflexion n’est pas vaine et nous gagnerions sans doute à regarder ce qui se fait ailleurs pour s’en inspirer. Cela permettrait, au passage, de réfléchir à comment répondre aux nouveaux besoins des futurs vétérinaires que ce soit en termes de gestion administrative et entrepreneuriale, de prise en compte de la charge émotionnelle, de communication ou de médecines complémentaires, par exemple.   

Un métier à double facette ?

Floriane savait qu’elle se destinait à une profession prenante et stressante, mais elle se rend compte aujourd’hui que vétérinaire est un métier à plein temps, que l’on ramène (souvent involontairement) chez soi, le genre de métier auquel on pense le soir, le week-end et même... pendant ses vacances. Et on la comprend. Plus facile de revendiquer le droit à la déconnexion quand on ne travaille pas avec le vivant ! À double titre, en plus, pour les vétérinaires qui doivent interagir aussi bien avec les patients animaux qu’avec leurs propriétaires/gardiens/parents. C’est un point sur lequel Floriane s’estime peu préparée. Les contacts avec la clientèle pendant les études se faisant essentiellement pendant les stages, les étudiants ne sont que rarement ceux qui s’adressent aux clients. Comme elle le souligne assez justement, même si la majorité d’entre eux est polie et aimable, ça n’est pas celle que l'on retient. Un incident, même minime, avec un client, peut facilement peser sur l’ensemble de la journée, voire plus longtemps. Et que dire depuis l’avènement des réseaux sociaux, qui ont le dangereux pouvoir d’encenser un jeune véto ou de détruire sa confiance naissante ? D’ailleurs, elle ne s’attendait pas à un mal-être aussi palpable dans la profession. Après quelques mois, elle réalise que mésententes et tensions mettent à l’épreuve bon nombre d’équipes soignantes.  

Tous victimes du syndrome de l’imposteur ?  

L’envie de continuer à évoluer en CHV afin d’apprendre auprès de spécialistes a motivé son choix de poursuivre sa formation par un internat. Elle s’est toutefois tournée vers un clinicat du secteur privé pour des raisons financières : les congés et le statut de salarié. Cette année intensive lui a permis de découvrir les nombreuses facettes de la pratique vétérinaire, de prendre de l’expérience dans la gestion des urgences et de mieux gérer son stress. Elle en a aussi beaucoup appris sur elle-même durant ces quelques mois. Aujourd’hui, Floriane sait qu’elle aimerait se tourner vers l’imagerie mais n’est pas certaine de vouloir ne faire " que " ça. Une spécialisation imposerait encore un investissement conséquent en termes de temps et de rémunération. Cela soulève une autre question existentielle : faut-il suivre la voie royale de la spécialisation pour se sentir compétent et confiant ? Mais si tous les jeunes aspirent à devenir des spécialistes, comment feront les clients sans généraliste pour poser un diagnostic et référer l’animal ? Comme souvent, la solution se situe certainement au centre (tout lien avec la situation politique ambiante serait fortuit !) car nous avons autant besoin de spécialistes pour faire avancer la science dans les différents domaines que de Drs House en puissance, capables de mener une démarche diagnostique globale.  

Elle évoque évidemment le syndrome de l’imposteur omniprésent dans la profession tout en relativisant : la différence se ressent tout de même avec des consœurs et confrères n’ayant pas fait d’internat et qui paniquent parfois dans certaines situations vues quotidiennement en CHV. En termes de pratique pure, Floriane se sent souvent plus limitée par la structure et ses moyens que par ses connaissances. Elle se retrouve parfois obligée de référer des cas car elle ne dispose pas des équipements nécessaires ou simplement pour éviter les surcoûts qui pourraient dissuader les propriétaires.  

Accompagnement ou autonomie : faut-il vraiment choisir 

Floriane pratique en tant que vétérinaire généraliste depuis le mois d’octobre dernier dans trois cliniques d’un groupement, en région parisienne. Le choix s’est fait en fonction des retours de ses co-promos, notamment sur les conditions de travail, la rémunération, les modes de fonctionnement. Elle a, par exemple, privilégié le fait d’avoir le choix de son planning ; ainsi, elle se sent plus libre dans sa vie professionnelle que durant sa scolarité. 

Pourtant, à l’origine, Floriane souhaitait intégrer une grosse structure afin d’y être encadrée, d’y passer quelques années et de profiter des possibilités de formation et d’évolution en interne. Cependant, comme beaucoup de ses co-promos, elle se retrouve presque seule ou avec d’autres vétérinaires qui n’ont pas beaucoup plus d’expérience. Quand Floriane regarde autour d’elle, elle constate que moins de deux ans après l’obtention de leur diplôme, la quasi-totalité de son entourage a déjà changé de structure, parfois plusieurs fois. Ses jeunes confrères et consœurs déplorent surtout un manque de considération et de soutien. La raison évoquée pour expliquer ce défaut d’accompagnement ? La désertion des vétérinaires, dont les plus expérimentés quitteraient les cliniques. Si le sentiment d’une poignée de jeunes vétérinaires en région parisienne n’est pas forcément révélateur de la situation à l’échelle nationale, cela ne nous empêche pas de nous interroger sur la démographie et le parcours des vétérinaires pour essayer de comprendre leur motivation et de trouver le moyen de réconcilier leurs aspirations avec les besoins du terrain. Car c’est un fait, au-delà de la pratique pure, le métier de vétérinaire est exigeant et ce, à bien des égards. J’en veux pour preuves les nombreux témoignages des vétérinaires inspirants de Vet'o micro qui se succèdent au micro de Marine et de Sophie depuis deux saisons déjà. Leurs confidences illustrent tous ces questionnements et donnent des pistes concrètes pour que chacun(e) devienne le/la vétérinaire qu’il/elle a envie d’être.  

L’argent, le nerf de la guerre 

Le rapport à l’argent est complexe, surtout dans les métiers de santé. À la sortie de l’école, il est parfois difficile de savoir comment bien lire un contrat, à quel salaire prétendre et comment le négocier. Les inégalités persistent, souvent parce que certaines négociations initiales ont été mieux menées que d’autres !  

Le rapport financier (on ne parle pas de pâtisserie malheureusement) aux clients est également un point sensible. Floriane évoque l’impression de devoir négocier à chaque consultation pour vendre alors que ce n’est pas la raison pour laquelle elle propose ses actes. Si elle trouve cela frustrant intellectuellement dans certains cas, c’est surtout l’incitation à la vente dans les groupements de cliniques qui la déstabilise. Elle n’avait pas envisagé de devoir rapporter, à la structure qui l’emploie, plus que ce qu’elle lui coûte, et pourtant la question se pose bien en ces termes. L’argent est un élément déterminant dans les structures, mais ça n’est pas l’apanage des vétérinaires. Chacun doit gagner sa vie ; les vétérinaires ne sont pas tous des commerciaux dans l’âme mais ils ne sont pas non plus voués à être bénévoles à vie. Alors quand les clients comparent les vétérinaires aux médecins et trouvent les soins de leurs animaux plus chers, ils oublient l’essentiel : la sécurité sociale n’est pas gratuite ! De plus, les médecins généralistes ne disposent que " d’une table d’examen et de leur stéthoscope " alors que l’équipement des structures vétérinaires est bien plus complet, y compris en matière d’imagerie de première intention. La piste à privilégier est certainement celle des assurances, pour que les propriétaires puissent accéder aux soins plus sereinement et que les vétérinaires puissent effectuer leur travail en leur âme et conscience.  


Ainsi, l’entrée dans le monde du travail peut parfois s’avérer semée d’embûches et en décourager certains. Les désillusions peuvent être grandes, comme dans toute profession vocationnelle, mais rassurez-vous, Floriane est une vétérinaire heureuse. Elle n'a aucun regret... mais un peu comme on retient plus facilement nos clients difficiles, on a parfois tendance à s'attarder sur les points faibles d'une situation, preuve que Floriane rêve toujours sa profession de vétérinaire...

Annabelle Orszag,
Vétérinaire

 

Cette tribune a été écrite d'après l'interview de Foriane, jeune consœur praticienne, par Lila Bigot, étudiante en 5ème année à l'EnvA. Nous les remercions chaleureusement.

 

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